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Introduction
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La compréhension et le suivi des effets locaux du changement climatique sur la biodiversité sont essentiels pour orienter les politiques environnementales et celles de gestion des espaces naturels. Le manque de connaissances au niveau régional a conduit au développement d’un programme de recherche « les sentinelles du climat » (2016-2021). Il pose en liminaire la problématique suivante : Comment évaluer et prédire la réponse de la biodiversité régionale au changement climatique ? Le défi est de développer les moyens, les méthodes pour la connaissance de ces fonctionnements multi-échelles, de coupler les variables intensives dans l’espace et dans le temps, de combiner en discussion différents regards disciplinaires, tout cela en facilitant la diffusion et la circulation multi-publics des connaissances.
Des indicateurs biologiques ont été choisis. Ce sont des espèces de flore et de faune étudiées dans leur milieu.
L’état et l’évolution de ces indicateurs sont reliés à un ensemble de variables de pression climatique mesurées à des échelles de temps et d’espace différentes. Les données horaires, journalières et annuelles concernent la température, l’hygrométrie, la pluviométrie, la radiation solaire, la vitesse du vent, etc. afin de dégager des tendances de l’impact de leurs variations sur l’état de la biodiversité année après année.
À partir d’un état de l’art des connaissances, de critères définis et d’une importante base de données empiriques des productions d’atlas de la flore et de la faune en région Aquitaine, les espèces et les groupes d’espèces « indicateurs » ont été développés pour les 5 types de milieux naturels sensibles au changement climatique : dunaires, secs, humides, forestiers et montagnards.
Les indicateurs pour chacun de ces milieux sont :
Ces indicateurs choisis dans les écosystèmes de référence constituent la base du programme « les sentinelles du climat » pour définir des suivis d’état multi-écosystèmes, multi-espèces à long-terme des effets du changement climatique sur la biodiversité en Nouvelle-Aquitaine. L’objectif est de projeter les réponses de ces espèces sentinelles à différentes échelles spatio-temporelles pour proposer des actions de conservation des espèces selon une démarche de recherche en 3 étapes clés :
La mobilisation d’une communauté rassemble différentes forces motrices intervenant dans la conservation de la biodiversité, ce sont les naturalistes, chercheurs, citoyens et décideurs :
Sensibilité de la flore de Nouvelle-Aquitaine
Les résultats complets sont disponibles en pdf : résultats de l’étude de la sensibilité de la flore de Nouvelle-Aquitaine au changement climatique.
Les projections de l’évolution future des aires d’affinité climatique des plantes mettent en évidence de fortes disparités selon les espèces (leurs aires climatiques favorables s’étendent ou se réduisent) et selon les territoires (augmentation de la richesse spécifique le long des couloirs de la Garonne et de la Dordogne, diminution dans les secteurs de basse montagne en Limousin et sur le piémont pyrénéen). Globalement, les cortèges actuellement présents seraient fortement modifiés à l’avenir.
L’un des objectifs phares définis pour la flore était de parvenir à déterminer des indices de sensibilité climatique relatifs aux espèces végétales de la région Nouvelle-Aquitaine. Ils ont pu être produits à l’issue d’une phase de projection de la répartition spatiale actuelle et future de 2181 espèces végétales, soit les espèces pour lesquelles le nombre de données est suffisant pour construire des modèles. Ce sont 1240 espèces qui n’ont pas pu faire l’objet d’analyses.
Pour chacune des plantes, le total de l’aire de présence potentielle prédite en Nouvelle-Aquitaine pour chaque combinaison de scénarios (3) et d’horizons (3) est comparé à ce même total obtenu pour la période actuelle. On conserve ensuite la médiane de ces 9 valeurs pour aboutir à un indice de sensibilité climatique traduisant l’évolution supposée de la superficie totale climatiquement favorable pour l’espèce en Nouvelle-Aquitaine (graphe ci-dessous).
Par exemple, un indice de -50 correspond à une perte de moitié de son aire de présence potentielle actuelle. Un indice de 100 correspond à un doublement de l’aire de présence potentielle actuelle.

Histogramme des fréquences par valeur d’indice de sensibilité climatique
Ces résultats ont ensuite été réemployés pour générer des cartes d’évolution de plusieurs indicateurs et, ainsi, proposer des hypothèses quant à l’évolution de la flore régionale, en fonction des différents scénarios envisagés pour les changements climatiques futurs. Il ressort de ces résultats quelques enseignements principaux (tableau ci-dessous).
Pour l’horizon 2100, les taux d’extinction régionale sont estimés à 0,1 % du cortège floristique actuel pour le scénario RCP2.6, et atteignent 3,2 % pour le RCP8.5. On parle d’extinction locale quand plus de 99 % de l’aire de présence potentielle d’une espèce est perdue.
Si l’on s’intéresse à la proportion d’espèces atteignant des niveaux critiques, soit la perte de plus de 90 % de leur aire régionale de présence potentielle actuelle, ce sont alors 0,6 % des espèces qui seraient concernées pour le RCP2.6, et jusqu’à 10,7 % du cortège initial pour le RCP8.5.
À l’opposé, toute une partie des plantes de Nouvelle-Aquitaine connaitrait une extension des secteurs qui leur sont climatiquement favorables. Ce cas de figure correspondrait même à la majorité des espèces, avec 58,6 % des plantes concernées pour le RCP2.6 et 55,2 % pour le RCP8.5.

Statut des espèces en fonction de différents seuils d’évolution des aires climatiques favorables potentielles
En Nouvelle-Aquitaine, le bilan global qui résulterait de ces évolutions serait celui d’une augmentation de la richesse spécifique dans la plupart des mailles 1 x 1 km de la région, avec toutefois des tendances locales qui pourraient s’opposer (cartes ci-dessous).
Ainsi, la diversité pourrait globalement augmenter pour les zones situées sur l’axe sud-est/nord-ouest de la région, entre les parties orientales de la Dordogne et du Lot-et-Garonne et la plupart des zones comprises entre Poitou-Charentes et Gironde.
Elle devrait en revanche décroitre sur la majeure partie du Limousin et aux altitudes moyennes des vallées d’Aspe et d’Ossau.

Cartes des bilans des gains et des pertes (en nombre d’espèces) en région Nouvelle-Aquitaine
Les zones de plus grande stabilité des cortèges floristiques vis-à-vis de la période actuelle se concentreraient autour du plateau de Millevaches, dans les hautes vallées pyrénéennes, le Périgord noir entre Vézère et Dordogne, le piémont basque, le littoral charentais et le Pays de Serres entre les vallées du Lot et de la Garonne.
À l’échelle de la région et à l’horizon 2100, la composition médiane des cortèges pourrait évoluer de la manière suivante :
– pour le scénario RCP2.6, les espèces déjà présentes au cours de la période actuelle représenteraient plus du double de celles nouvellement installées au sein des mailles,
– pour le scénario RCP4.5 (cartes ci-dessous), les cortèges seraient composés pour moitié d’espèces nouvellement arrivées dans les mailles,
– pour le scénario RCP8.5, les espèces déjà présentes au cours de la période actuelle représenteraient nettement moins de la moitié de celles nouvellement installées au sein des mailles.

Cartes de la stabilité des cortèges floristiques dans chaque maille de Nouvelle-Aquitaine
Pour interpréter ces résultats, il ne faut pas perdre de vue les diverses limites associées à cette étude. En premier lieu, il faut rappeler que ni les capacités de migration des espèces végétales, ni les continuités ou discontinuités écologiques tout au long de leur parcours théorique de migration ne sont prises en compte dans ces modèles. De même, les multiples interactions entre espèces qui surviendraient, non seulement au cours de la migration mais aussi au sein des zones d’arrivée, ne sont pas intégrées aux différentes étapes du processus de production de ces cartes d’indicateurs.
Néanmoins, les tendances mises en lumière par ces résultats devraient nous permettre d’approfondir les réflexions sur les différentes approches de la conservation et de la gestion du patrimoine naturel. Dans cette optique, il est proposé ici de cibler en premier lieu les zones de plus grande stabilité des cortèges floristiques, pour favoriser le maintien d’écosystèmes fonctionnels déjà connus qui seraient à même de perdurer malgré les importants changements climatiques qui surviendraient au cours du XXIème siècle.
Suivi et évolution de communautés végétales sensibles au changement climatique en Nouvelle-Aquitaine
Les résultats complets sont disponibles en pdf : résultats des suivis des communautés végétales sensibles au changement climatique.
Depuis 2016, le réseau de suivi des communautés végétales a permis de mettre en évidence de 1ères tendances d’évolution des cortèges floristiques. Des prémices de méditerranéisation s’observent sur les pelouses sèches des coteaux calcaires. Les espèces typiques des milieux humides fragiles sont moins abondantes. La poursuite des suivis engagés est indispensable, mais n’empêche pas de travailler sur les continuités écologiques entre ces différents milieux, pour favoriser leur résistance et leur résilience.
La flore et les communautés végétales de Nouvelle-Aquitaine pourraient subir d’importants bouleversements dans le futur en lien avec le changement climatique. Des modifications phénologiques* et des difficultés de développement pour un certain nombre d’espèces, des substitutions de cortèges et enfin des modifications d’aire de répartition sont des réponses déjà en partie attestées ou attendues.
Afin de mesurer les conséquences du changement climatique sur la vitesse et l’intensité de l’évolution de la flore régionale, un réseau de surveillance a été déployé sur un nombre important de sites hébergeant des communautés végétales sensibles (carte ci-dessous). Il englobe les sites du programme mais aussi d’autres dispositifs du CBN Sud-Atlantique.
Les pelouses calcicoles, les végétations de dunes littorales, les hêtraies de plaines, les tourbières et les gazons amphibies des Landes de Gascogne ont donc vocation à être suivis sur le long terme à travers ce réseau. Des protocoles et méthodes standardisés sont repris ou développés spécifiquement pour répondre aux problématiques d’évolution des cortèges floristiques et de facteurs explicatifs.

Dispositifs de suivi par milieu
Des premières analyses, réalisées à partir de la relecture des dispositifs de suivis sur des pas de temps de 2 à 6 ans selon les milieux, permettent de pointer des changements significatifs pour certains indicateurs.
Ainsi, une fermeture des milieux par des espèces préforestières (ourlification) et des prémices de méditerranéisation des cortèges floristiques sont décelées en pelouses calcicoles (graphes ci-dessous).

Nombre d’espèces méditerranéennes-atlantiques par quadrat

Nombre d’espèces méditerranéennes par quadrat
Pour les tourbières, on constate une certaine stabilité de la flore mais le développement de ligneux est à signaler.
Dans le cas des lagunes du plateau landais, les gazons amphibies souffrent déjà avec une nette diminution de biomasse (graphe ci-dessous) et une colonisation par la Molinie, Molinia caerulea, indicatrice d’un relatif assèchement.

Biomasse des espèces amphibies dans les quadrats
L’approche par modélisation et projection des aires climatiquement favorables aux espèces et végétations dans le futur apporte des informations complémentaires sur l’évolution potentielle des cortèges suivis. Les hêtraies de plaines, avec en premier lieu le Hêtre, Fagus sylvatica, et plusieurs de ses espèces compagnes, tendraient vers une régression nette des conditions favorables à leur développement (cartes ci-dessous).
À l’inverse, certaines espèces thermophiles (soit des espèces qui ont besoin de températures élevées pour leur développement) indigènes ou exotiques pourraient s’étendre largement, en particulier sur les dunes et les coteaux calcaires.

Evolution des aires climatiques favorables au Hêtre par rapport au présent
Les effets du changement climatique sur la biodiversité végétale sont complexes à appréhender. L’une des raisons principales à cela réside dans les capacités de résistance et de résilience des espèces végétales. Ainsi, les changements de conditions climatiques et les modifications floristiques qui en découlent s’avèrent parfois décorrélés au niveau temporel : la réponse des espèces est décalée dans le temps par rapport au changement climatique observé. Ce laps de temps entre les 2 types de variations, climatique et floristique, définit la dette climatique des cortèges.
Une meilleure compréhension des facteurs sous-jacents à ce phénomène est un enjeu important dans le contexte d’une accélération du changement climatique au XXIème siècle. En cela, le réseau de surveillance des communautés végétales de Nouvelle-Aquitaine offre un intérêt majeur.
Le programme les sentinelles du climat a contribué à la formation d’un réseau de surveillance indispensable. Il reste en cours de structuration et en constante évolution. Ses diverses lacunes pourront être comblées au fil du temps par des compléments d’échantillonnage et une meilleure prise en compte des pressions. Bien qu’imparfait et présentant certaines limites, l’existence de ce réseau demeure un atout indispensable pour évaluer les effets du changement climatique sur certaines végétations sensibles.
Afin de favoriser le maintien des espèces et des communautés sensibles au sein de zones refuges, et de faciliter leur migration vers de nouveaux secteurs favorables, les continuités écologiques et le maintien des conditions microclimatiques constituent des enjeux primordiaux de conservation et de résilience. Ces aspects mériteraient des études spécifiques pour une meilleure connaissance et compréhension, et des mesures de gestion et de préservation efficientes.
Évolution de la diversité des papillons en réponse au changement climatique
Les résultats complets sont disponibles en pdf : résultats des analyses des suivis de papillons et des modèles de répartition.
Les premières tendances sur l’évolution des cortèges de papillons en Nouvelle-Aquitaine mettent en évidence une diminution future des effectifs et des aires climatiques favorables aux espèces actuellement présentes. Ceci s’observe sur les sites suivis, tant sur les pelouses sèches qu’en montagne ou dans les landes humides. Des espèces emblématiques, comme l’Apollon, pourraient disparaître localement. Leur préservation nécessite de travailler dès aujourd’hui à la conservation de leurs habitats, mais aussi sur les continuités écologiques entre ces habitats.
La littérature scientifique indique que les espèces de papillons ont répondu le plus aux pressions du changement climatique, notamment en modifiant leurs aires de répartition vers le nord ou vers de plus hautes altitudes.
En région Nouvelle-Aquitaine, pour étudier cette évolution, nous nous appuyons sur 2 échelles principales. L’échelle macroclimatique correspond à l’influence des conditions climatiques globales sur la présence des espèces. À l’échelle mésoclimatique, les études portent sur l’influence des conditions stationnelles sur les populations présentes sur un site donné.
À l’échelle macroclimatique, pour chaque espèce de papillon, des cartes de gain/perte potentiels de zones climatiquement favorables entre le présent et le futur sont créées.
Les résultats exploratoires montrent que les zones favorables aux espèces typiques des pelouses calcicoles, pourtant adaptées aux conditions des milieux chauds et secs, auraient tendance à diminuer avec l’augmentation des températures extrêmes. Le Nacré de la Filipendule, Brenthis hecate, en est un exemple, avec un déplacement des secteurs potentiellement favorables au nord et à l’est (Poitou-Charentes et frange limousine).
Les espèces de milieux humides montrent une sensibilité importante à l’augmentation des températures supérieures à 35°C. C’est le cas pour l’Azuré des mouillères, Phengaris alcon, qui pourrait ne plus trouver de conditions favorables en Gironde.
Les conditions favorables aux espèces strictement montagnardes, comme l’Apollon, Parnassius apollo, semblent se réduire (cartes ci-dessous). Elles diminueraient de 73 à 97 % en 2100 en lien avec la diminution du nombre de jours d’enneigement en dessous de 50 jours par an.

Evolution des aires climatiques favorables à l’Apollon par rapport au présent
À l’échelle mésoclimatique, un réseau de suivis de l’abondance des espèces permet d’étudier l’évolution des populations. Sur chacun des 23 sites de suivi, des mesures climatiques locales sont réalisées en continu.
L’étude des effectifs au cours des dernières années montre que l’année 2019, très chaude (températures maximales de 40°C en moyenne), a été défavorable pour les espèces abondantes des pelouses calcicoles comme l’Azuré commun, Polyommatus icarus. Cela conforte les hypothèses de modélisation sur les conséquences des températures extrêmes sur les papillons de ce milieu.
En landes humides, les observations sur le terrain ont montré une corrélation entre la diminution de la diversité des espèces peu abondantes (1 ou 2 individus), des températures plus chaudes (températures maximales supérieures en 2017) et des périodes sèches au printemps (comme en 2017).
En montagne, sur le site d’Arrious, une baisse des effectifs d’Apollon est remarquée depuis 2017 (graphe ci-dessous).

Evolution du nombre moyen d’Apollon sur le site d’Arrious en fonction des années
Ce constat inquiétant devra être confirmé par la poursuite des suivis. Globalement, la moyenne du nombre d’espèces strictement inféodées au milieu montagnard sur l’ensemble des sites est continuellement en baisse depuis 2018. Par ailleurs, le nombre d’observations de Demi-Deuil, Melanargia galathea, espèce de plaine, augmente (graphe ci-dessous). De manière générale, des effectifs plus importants d’espèces de plaine ont été notés en 2019, année où les niveaux de température ont été les plus élevés, potentiellement plus favorables à leur croissance.

Evolution du nombre moyen de Demi-Deuil en fonction des années
Malgré les limites et incertitudes de ces premiers résultats, des tendances globales se dégagent peu à peu.
Les populations de papillons des pelouses calcicoles diminueraient avec l’augmentation des températures extrêmes. Le maintien ou la recréation des continuités écologiques sont indispensables à leur maintien. La présence d’îlots de fraicheur pourrait atténuer les effets de l’augmentation des températures. Des espèces communes des pelouses, comme le Bel Argus, Lysandra bellargus, identifiées comme potentiellement sensibles au changement climatique, pourraient être mises en avant dans la gestion actuelle pour anticiper la baisse des populations.
Les résultats ont montré une forte vulnérabilité des papillons des landes humides à la hausse des températures et à la sécheresse de l’air. Ils mettent en avant l’importance du paramètre humidité. La gestion de ce type de milieu doit permettre de créer des refuges microclimatiques, soit une mosaïque d’habitats. En parallèle, la gestion doit permettre le maintien d’un régime hydrologique suffisant ; la restauration et l’augmentation de surface ; la création de connexions entre les habitats humides ; le renforcement de la conservation des espèces protégées en forte diminution.
Le changement climatique n’est pas la seule pression humaine impactant les populations. En montagne par exemple, sur le site d’Arrious, une baisse régulière des effectifs de l’Apollon depuis 2019 a été démontrée. Elle pourrait cependant être imputée au changement de modalité d’utilisation du site. En effet, la qualité des habitats semble se dégrader sur le site en raison d’un surpâturage. À l’étage alpin, le surpâturage et l’écobuage régulier doivent être évités pour protéger les sedums et les joubarbes, les plantes hôtes de l’Apollon, qui sont sensibles à la structuration végétale. Enfin, la lutte contre les espèces envahissantes et indésirables pour l’écosystème doit être intensifiée sur l’ensemble des milieux.
Dans ce programme, le développement exploratoire d’indices de refuges climatiques pour les papillons, définis à partir des enjeux actuels de conservation a été proposé (cartes ci-dessous). Plus l’indice est élevé (couleur foncée), plus la zone d’accueil présenterait un climat potentiellement favorable pour les espèces protégées, patrimoniales ou pour la diversité des papillons. Les différentes zones refuges en 2100 correspondraient au Nord-Médoc, aux cours d’eau de la région et aux montagnes pyrénéennes atlantiques.

Cartes des indices des refuges climatiques pour les papillons en région Nouvelle-Aquitaine
Malgré les limites et les incertitudes de cet indice, il permet de repenser la conservation actuelle et de poser de nouvelles perspectives de recherche.Quels secteurs doivent être prioritaires pour la conservation : les secteurs stables, les secteurs où la diversité chute ou inversement, ou les secteurs de refuges pour les espèces actuellement patrimoniales ?
Évolution phénologique de l’Azuré des mouillères et de sa plante hôte, la Gentiane des marais
Les résultats complets sont disponibles en pdf : résultats des analyses des suivis de l’Azuré des mouillères.
Le maintien de la synchronicité des cycles de vie de l’Azuré des mouillères et de sa plante hôte est nécessaire au succès reproductif du papillon. Au cours des 4 années de suivi, les cycles de développement des 2 espèces ne semblent pas décalés au sein de chaque site. On observe en revanche des différences dans les dates de déclenchement des phases étudiées, plus précoces dans les sites les plus frais, en montagne et dans le Pays basque. Le changement climatique pourrait entrainer une réduction des secteurs climatiquement propices à la présence de l’Azuré des mouillères et de sa plante hôte.
L’Azuré des mouillères, Phengaris alcon alcon, est une espèce spécialiste, au cycle biologique complexe qui nécessite à la fois la présence d’une plante hôte, la Gentiane des marais, Gentiana pneumonanthe, et de fourmis hôtes du genre Myrmica. Il est inféodé aux landes et aux prairies humides, tourbeuses à paratourbeuses.
Plusieurs études ont montré l’existence d’un décalage des phénologies printanières des insectes vers des dates plus précoces. Ces décalages ne se font pas au même rythme selon les taxons ou le niveau trophique. Par exemple, la phénologie des papillons s’adapte trois fois plus rapidement que celle des plantes. De tels décalages peuvent conduire à une asynchronie d’une partie des cycles de développement de ces espèces en interaction, avec des conséquences plus ou moins importantes sur la dynamique des populations.
Dans ses premiers stades larvaires, l’Azuré des mouillères se nourrit exclusivement des bourgeons et des fleurs de la Gentiane des marais. Un décalage important entre la ponte du papillon et la floraison de sa plante hôte pourrait à terme impacter négativement ses populations. En partant de ces constats, s’est posée la question de l’évolution de la phénologie de l’Azuré des mouillères et de son unique plante hôte en Nouvelle-Aquitaine, la Gentiane des marais, et du maintien de leur synchronie.
Pour répondre à cette problématique, un protocole de suivis a été mis en place sur 4 sites en Nouvelle-Aquitaine depuis 2018, avec l’ajout d’un 5ème en 2021. Il repose sur un comptage hebdomadaire des pieds et des hampes de Gentiane des marais ainsi que des œufs du papillon dans des quadrats de 100 m².
Au cours des quatre années de suivis, les résultats ont montré des évolutions phénologiques variables selon les sites, avec toutefois un début de vol du papillon et un début de bourgeonnement qui semblent plus précoces sur les sites aux conditions les plus humides et les plus fraiches (graphes ci-dessous), comme observé dans d’autres études.
D’après l’analyse des données des stations météorologiques, il semblerait que les températures hivernales et estivales, ainsi que les humidités relatives hivernales, printanières et estivales jouent un rôle sur l’apparition du début du bourgeonnement et de la floraison de la Gentiane des marais. Plus il ferait chaud en hiver, plus le début du bourgeonnement serait précoce. Plus les températures seraient faibles et l’humidité relative élevée au printemps et en été, plus la floraison serait précoce.
En comparant les phénologies des deux espèces (graphes ci-dessous), les résultats ont montré, sur les 2 sites girondins, une émergence du papillon simultanée ou postérieure au début du bourgeonnement témoignant d’une bonne synchronie. En revanche, sur les 2 sites pyrénéens, cette synchronie semble moins bonne puisque le papillon émerge souvent avant le début du bourgeonnement de sa plante hôte. Concernant la durée de vol du papillon, elle semble suivre la même tendance sur l’ensemble des sites. Elle a été allongée d’une à quelques semaines lors de ces deux dernières années. Cette augmentation de la période d’activité, en plus du décalage, pourrait également être une réponse au changement climatique dans le futur.

Estimation des périodes de ponte de l’Azuré des mouillères et du début de bourgeonnement de la Gentiane des marais sur 4 sites de suivis
L’impact du changement climatique sur la phénologie de nombreuses espèces est désormais bien connu, mais son interprétation reste souvent difficile. De nombreux biais subsistent dans les méthodes utilisées pour mesurer les décalages phénologiques, comme c’est le cas ici. Par ailleurs, en sus de l’asynchronie avec sa plante hôte, de nombreux facteurs peuvent influer sur la dynamique des populations d’Azuré des mouillères. Leur prise en compte entrainerait un alourdissement du protocole alors même qu’il nécessite déjà un temps d’investigation sur le terrain très important. En conséquence, la poursuite de l’étude de la synchronie phénologique des deux espèces serait à privilégier et des ajustements du protocole seraient à effectuer dans ce sens afin de l’axer sur cette unique problématique et de le simplifier.
Outre la modification de la phénologie des organismes, le déplacement géographique des populations vers des conditions plus favorables est également une des réponses possibles au changement climatique.
Les populations d’Azuré des mouillères pourraient fortement régresser avec le changement climatique, comme le suggère les résultats des modèles corrélatifs de répartition (cartes ci-dessous). Des zones refuges climatiques sembleraient se dégager dans les massifs montagneux en supposant que l’espèce puisse remonter en altitude et y trouver son habitat favorable avec ses deux hôtes.

Evolution des aires climatiques favorables à l’Azuré des mouillères par rapport au présent
Les modèles suggèrent également une régression des zones climatiquement favorables à la Gentiane des marais, les massifs montagneux présentant encore des conditions climatiques favorables à cette plante (cartes ci-dessous).

Evolution des aires climatiques favorables à la Gentiane des marais par rapport au présent
Toutefois, ces modèles sont encore lacunaires puisqu’ils ne prennent pas en compte un certain nombre de facteurs, comme notamment l’interaction du papillon avec ses hôtes, leurs capacités de migration ou l’évolution de l’occupation du sol.
Mise en place d’un protocole de suivi des réponses des orthoptères de montagne face au changement climatique
Le chapitre complet est disponible en pdf : mise en place d’un protocole de suivi des orthoptères de montagne.
Trois protocoles de suivis des orthoptères de montagne ont été testés entre 2018 et 2021. Les effets du changement climatique sur ces insectes phytophages pourraient s’observer par la modification des limites altitudinales propres à chaque espèce. En parcourant chaque année des transects situés entre 500 et 1500 m, en voiture à basse et moyenne altitude et à pied à haute altitude, l’évolution de la répartition altitudinale des orthoptères pourra être mise en évidence.
Les orthoptères sont des insectes très sensibles à la température. Le nombre et la diversité des espèces décroissent avec la latitude et l’altitude, et seules quelques espèces se rencontrent au nord dans des zones subarctiques ou à haute altitude. D’une façon générale, le changement climatique agit sur le développement, la survie, l’abondance et la répartition des insectes herbivores que sont les orthoptères.
Plusieurs études ont montré un élargissement des aires de répartition de certaines espèces, par exemple le Conocéphale bigarré, Conocephalus fuscus. Cette espèce a considérablement étendu son aire au nord de l’Europe occidentale. De plus, la zone de répartition de certaines espèces aurait tendance à s’étendre en altitude. Pour d’autres, l’aire de répartition peut être amenée à se réduire.
Les espèces caractéristiques des milieux froids sont particulièrement sensibles au changement climatique, comme celles présentes dans les pelouses de montagne. Le cortège d’orthoptères présents dans ces habitats pourrait se modifier, certaines espèces pouvant y apparaître ou en disparaître sous les effets du changement climatique.
Par exemple, le Gomphocère des alpages, Gomphocerus sibiricus, mentionné en 1990 dans la Vallée de Benasque (Pyrénées espagnoles) dès 1400 m, n’est annoncé qu’à partir de 1800 m en 2009, soit 19 ans plus tard.
Ainsi, on pose l’hypothèse que cette espèce, à l’instar des autres orthoptères strictement montagnards, effectuera une remontée progressive vers des altitudes plus élevées afin de se maintenir dans son optimum thermique, tant qu’elle y trouve des habitats favorables. En parallèle, des espèces présentes à basse altitude pourraient profiter du changement climatique pour occuper des altitudes plus élevées.
Différents protocoles ont été testés afin de définir la méthode la plus adaptée à l’étude de ces changements :
– suivis acoustiques et suivis par fauche sur des transects courts de 100 m à haute altitude (1700 à 2300 m),
– suivis acoustiques diurnes sur des transects longs suivant un gradient altitudinal au-dessus de 1700 m,
– suivis acoustiques nocturnes sur des transects voiture par enregistrement des stridulations des sauterelles à basse et moyenne altitudes, entre 500 et 1800 m.
La méthode des transects courts permet de caractériser les cortèges d’orthoptères de chaque site suivi. L’analyse des premiers résultats sur trois années montre des différences de diversité entre les sites prospectés (graphe ci-contre). Le Soum de Pombie est le site avec le plus de diversité tandis que les sites du Pas d’Azuns sont ceux avec la diversité en orthoptères la plus faible. Ces différences peuvent être dues à la différence d’altitude mais aussi à d’autres facteurs, tels que la localisation au sein du massif (exposition sud et proximité immédiate des versants espagnols pour le Soum de Pombie), le type de végétation ou l’intensité du pâturage.

Diversité observée de chaque site de suivi
Les transects longs permettent la couverture d’une plus large variation altitudinale, et donc la détection d’espèces ayant des exigences écologiques et climatiques plus variées.
Les premiers résultats (graphique ci-dessous) montrent que certaines espèces ne sont observées qu’à haute altitude, telles que le Gomphocère des alpages, observé entre 1888 m et 2401 m. D’autres espèces sont plutôt de moyenne altitude (le Criquet jacasseur, Stauroderus scalaris, le Dectique verrucivore, Decticus verrucivorus ou le Criquet bariolé, Arcyptera fusca).
Ces graphiques montrent également que certaines de ces espèces de moyenne altitude peuvent faire des incursions à plus haute altitude, la majorité des effectifs de la population restant à moyenne altitude. C’est le cas par exemple du Dectique verrucivore, particulièrement visible sur le second site. À l’inverse, une espèce comme le Criquet bariolé n’est pas présente à haute altitude.

Répartition altitudinale des espèces le long des transects longs sur 2 des sites de suivis
Ces premiers résultats à haute altitude peuvent être complétés par les données issues des transects parcourus en voiture à basse et moyenne altitudes. Ces transects, parce qu’ils sont nocturnes, permettent d’étudier d’autres espèces d’orthoptères peu détectées de jour. Pour exemple, les passages sur le transect reliant le col d’Aubisque à Laruns présentent la répartition altitudinale des espèces contactées (graphe ci-dessous). Certaines espèces sont très ponctuelles (le Méconème scutigère, Cyrtapsis scutata ou le Phanéroptère commun, Phaneroptera falcata).
Pour les autres espèces, on retrouve des espèces de basse altitude (le Conocéphale gracieux, Ruspolia nitidula et la Leptophye ponctuée, Leptophyes punctatissima) et des espèces de moyenne altitude (la Decticelle grisâtre, Platycleis albopunctata et la Sauterelle cymbalière, Tettigonia cantans). Deux espèces sont présentes sur l’ensemble du transect : la Decticelle cendrée, Pholidoptera griseoaptera et la Grande Sauterelle verte, Tettigonia viridissima.

Répartition altitudinale des espèces le long du transect voiture d’Aubisque à Laruns
Si, pour le moment, la composition des cortèges ou la présence des espèces le long d’un gradient altitudinal ne peuvent être mises en lien avec le changement climatique, la poursuite des suivis permettra de mesurer les évolutions possibles de ces cortèges. Les suivis par transects longs semblent les plus adaptés à l’étude des effets du changement climatique sur la répartition altitudinale des espèces, parce qu’ils permettent d’avoir une vision plus globale à l’échelle du site et de couvrir une plus importante gamme de cortège d’espèces.
Évolution spatiale des cortèges d’odonates des lagunes des Landes de Gascogne
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis et de la modélisation des cortèges d’odonates des lagunes.
Le cortège des odonates des lagunes des Landes de Gascogne pourrait être modifié par le changement climatique. à l’avenir, des espèces différentes de celles présentes aujourd’hui pourraient coloniser ces milieux humides si particuliers. On observe en effet que l’abondance de certaines espèces, comme le Leste des bois, décroît avec l’augmentation de la température.
Les lagunes, écosystèmes aquatiques uniquement présents sur le plateau landais, sont des habitats remarquables du point de vue écologique, géologique, paysager et culturel. Elles abritent des cortèges patrimoniaux d’espèces animales et végétales. Comme d’autres milieux humides, elles sont particulièrement vulnérables face aux changements globaux, dont le changement climatique, en particulier au travers des altérations du régime hydrique ou de l’augmentation des températures.
Les odonates, comme les autres espèces, ont des exigences écologiques précises, parfois en lien avec le climat, telles que la température de l’eau, sa teneur en oxygène ou la disponibilité en eau douce. Le changement climatique peut entrainer la régression voire l’extinction locale de certaines espèces, ou, au contraire, la progression d’espèces associées à des températures plus chaudes, comme le Trithémis annelé, Trithemis annulata, originaire d’Afrique, désormais bien implanté en France et notamment en ex-Aquitaine.
Afin d’analyser ces phénomènes en Nouvelle-Aquitaine, l’étude des cortèges d’odonates est divisée en deux parties.
16 lagunes sont prospectées plusieurs fois par an de façon à suivre l’évolution des cortèges présents. Le nombre d’adultes de chaque espèce observée est noté. Les exuvies* sont récoltées et identifiées. Ces suivis sont couplés avec la pose de stations météorologiques mesurant la température et l’humidité toutes les heures.
En parallèle, la répartition des odonates a été modélisée, en lien avec des variables climatiques, pour tenter de projeter les aires climatiques favorables à ces espèces selon les scénarios climatiques futurs du GIEC. Des indices de vulnérabilité face au changement climatique ont été construits.
L’analyse des données issues des stations météorologiques des lagunes suivies montre que les sites sont très semblables climatiquement, mais que les années sont très différentes entre elles. Les saisons 2018 et 2020 ont été plus fraiches et humides que l’année 2019. L’année 2020 a été caractérisée, en particulier, par une forte pluviométrie printanière, et donc des niveaux d’eau importants.
Au sein des cortèges d’odonates, on observe une diversité plutôt stable sur les 3 années de suivi (2018 – 2020) pour chacun des sites, mais l’abondance des individus de chaque espèce varie selon les années. Ces variations pourraient être liées à de potentiels effets des conditions météorologiques particulières à chaque année.
Par exemple, pour le Leste des bois, Lestes dryas, des températures plus chaudes au printemps et en été ne semblent pas favorables (graphe ci-dessous).

Abondance du Leste des bois en fonction de la température maximale moyenne mesurée au printemps
Pour compléter les suivis sur sites, une étude sur les espèces d’odonates de Nouvelle-Aquitaine a été réalisée. À l’aide de modèles prenant en compte différents scénarios de climats futurs possibles, l’évolution des secteurs potentiellement favorables à 53 espèces d’odonates actuellement présentes en Nouvelle-Aquitaine a été étudiée. Il ne s’agit pas de l’ensemble des espèces présentes, car le nombre de données pour certaines est trop faible pour produire un modèle fiable.
Selon les scénarios, les secteurs présentant des conditions climatiques favorables se réduisent, voire disparaissent, pour 24 % à 32 % des espèces étudiées.
Pour d’autres (24 à 30 % des espèces actuellement présentes), les conditions climatiques propices à leur présence pourraient être plus largement réparties sur le territoire. Parmi ces espèces, certaines sont présentes sur les lagunes. Pour 8 d’entre elles, les conditions climatiques seraient plus largement appropriées à l’horizon 2100, comme pour le Sympétrum méridional, Sympetrum meridionale.
En revanche, pour 15 des espèces fréquentant les lagunes, les secteurs climatiquement favorables se réduiraient, comme pour l’Aeshne bleue, Aeshna cyanea, la Grande Aeshne, Aeshna grandis, ou l’Agrion délicat, Ceriagrion tenellum.
À partir de ces projections, une étude de la diversité des espèces par maille de 1 x 1 km a été conduite, en analysant la similarité entre les espèces actuellement présentes et les projections de présence future selon les scénarios de changement climatique.
Il est probable que les cortèges soient fortement modifiés dans de nombreux secteurs de la région (cartes ci-dessous : plus la zone est claire, plus les espèces présentes à un endroit donné seraient différentes à l’avenir).

Cartes de similarité des cortèges d’odonates entre le présent et les projections futures
Les suivis des cortèges d’odonates doivent être poursuivis. En effet, la durée du cycle de vie de ces espèces (qui restent au stade larvaire pendant 1 à 3 ans) pourrait engendrer un décalage des impacts du climat sur les abondances observées. De plus, d’autres facteurs pourraient être étudiés en lien avec le changement climatique (température de l’eau, régime hydrique) mais aussi avec les autres pressions anthropiques sur les lagunes, comme la qualité de l’eau ou les perturbations (travaux, espèces envahissantes, etc.).
Rôle des milieux humides pour atténuer les effets du changement climatique : Rainette ibérique et Rainette verte
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis des rainettes et de la modélisation.
Les suivis de terrain et les expériences en laboratoire montrent l’importance d’une hygrométrie élevée pour la Rainette ibérique et la Rainette verte, comparées à la Rainette méridionale. Ce paramètre explique la répartition des 3 espèces en Nouvelle-Aquitaine. Les études expérimentales mettent aussi en avant la capacité adaptative de la Rainette ibérique qui régule ses pertes en eau grâce à son comportement. Le changement climatique aura un impact drastique sur les secteurs favorables à l’avenir pour la Rainette ibérique et la Rainette verte, espèces de milieux frais.
En Nouvelle-Aquitaine, 3 espèces de rainettes à affinités climatiques et répartitions contrastées sont présentes.
La Rainette ibérique, Hyla molleri, est une espèce qui se reproduit dans les milieux humides et frais du Massif landais, type « lagunes ». En France, elle se cantonne au bassin aquitain. Ses habitats préférentiels sont sujets aux perturbations climatiques comme l’assèchement brutal et la modification de la flore représentative des zones humides du Massif landais.
La Rainette verte, Hyla arborea, possède une répartition septentrionale étendue dont la limite sud atteint le Massif central.
La Rainette méridionale, Hyla meridionalis, est une espèce d’affinité méditerranéenne, et donc plus thermophile, qui pénètre toutefois sur certaines lagunes où elle s’observe alors en syntopie* avec la Rainette ibérique.
Nos travaux de recherche sont menés sur ces trois espèces afin de développer une approche intégrée à différents niveaux d’affinités climatiques (alantique/médio-Européen versus méditerranéen).
Des suivis naturalistes sur des sites d’étude permettent de visualiser les tendances évolutives de la répartition et l’abondance de la Rainette ibérique dans le Massif landais et de la Rainette verte en Limousin, en lien avec d’éventuelles variations climatiques, mais aussi d’observer la progression de la Rainette méridionale.
En parallèle, nos travaux de recherche ont pour objectif de comprendre les déterminants de la répartition de ces trois espèces à partir des données de présence (observations) issues des différents observatoires infrarégionaux. Notre hypothèse principale est qu’un contraste des niches thermiques/hydriques et physiologiques de chaque espèce permet d’expliquer leur répartition parapatrique* en Nouvelle-Aquitaine.
Dans ce contexte, il est important d’identifier les paramètres physiologiques et comportementaux proximaux qui sous-tendent les adaptations climatiques propres aux espèces, et également d’explorer les déterminants climatiques de la répartition et de l’importance des gradients environnementaux.
Les analyses menées sur les 5 premières années de suivi, soulignent des variations interannuelles importantes du nombre de mâles chanteurs détectés. Pour la Rainette ibérique, ces variations sont étroitement liées aux conditions météorologiques et aux précipitations : le nombre de mâles chanteurs en activité était très faible durant les années sèches et chaudes, comme 2017 et 2019 (graphe ci-dessous).

Comptages annuels des mâles chanteurs pour la Rainette ibérique
Cette dépendance à l’humidité pour l’activité de reproduction se confirme au travers des relevés in situ, avec une corrélation entre le nombre de mâles chanteurs en activité et les conditions d’hygrométrie (graphe ci-dessous).

Influence de l’hygrométrie sur les observations
chez la Rainette ibérique
Cette relation n’a pas été trouvée chez la Rainette méridionale (graphe ci-dessous).

Influence de l’hygrométrie sur les observations
chez la Rainette méridionale
En parallèle, les études en laboratoire ont permis de montrer que la Rainette verte et la Rainette ibérique présentent des pertes hydriques cutanées plus importantes que la Rainette méridionale et révèlent des tolérances différentes à l’évaporation. La peau de la région dorsale est en contact avec l’air extérieur et les pertes cutanées élevées peuvent compromettre l’état physiologique et la balance hydrique des individus.
Les données expérimentales en enceintes climatiques démontrent chez la Rainette ibérique une très forte sensibilité aux conditions desséchantes (graphe ci-dessous). Ainsi la perte de masse augmente quand l’hygrométrie est basse. La présence d’un support permet de réduire drastiquement les pertes hydriques par l’expression de comportements d’économie d’eau avec les ajustements posturaux (graphe ci-dessous) qui semblent d’une importance déterminante comme moyen de résistance aux conditions desséchantes.
La disponibilité de microhabitats de bonne qualité devrait donc jouer un rôle essentiel dans le maintien de la balance hydrique.

Influence de l’hygrométrie et de la présence de support
sur la perte de masse chez la Rainette ibérique en laboratoire
La modélisation de la répartition actuelle des rainettes montre que la Rainette ibérique utilise des conditions plus chaudes mais plus arrosées que la Rainette verte, et des conditions plus nébuleuses que la Rainette méridionale. Par ailleurs, la présence de zones humides ressort comme un des facteurs prépondérants pour expliquer la répartition de la Rainette ibérique. La modélisation selon les différents scénarios de changement climatique suggère une régression extrêmement importante et rapide des conditions climatiques favorables à la Rainette ibérique. Les refuges climatiques sont très limités et localisés par exemple à des zones littorales dès 2050, puis exclusivement restreints au piémont pyrénéen (Béarn) en 2100.
Pour la Rainette verte, les projections futures suggèrent un recul important des conditions climatiques favorables à sa présence vers le nord dès 2050, avec la possible disparition de l’espèce de la région à terme. Ces projections identifient également des refuges climatiques temporaires dans le Limousin (comme les Combrailles limousines) et en Deux-Sèvres (bocage bressuirais et Gâtine).
Les microclimats sont essentiels pour les ajustements de comportements de thermorégulation et d’hydrorégulation. Le maintien d’une diversité de microhabitats à une petite échelle spatiale est une action prioritaire pour ces espèces peu mobiles. Les habitats humides, comme les lagunes, jouent déjà le rôle de « capsule climatique » notamment dans les zones fortement exposées aux aléas climatiques. Mais ces habitats sont mis à mal par les pressions anthropiques locales. Gérer et restaurer ces zones humides permettrait de renforcer et pérenniser cet effet protecteur en plus d’être un véritable levier pour atténuer les effets du changement climatique à l’échelle régionale.
La Grenouille des Pyrénées, une espèce fragile sous menaces multiples
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis de la Grenouille des Pyrénées et de la modélisation.
Tandis que les populations de Grenouille des Pyrénées du Pays basque tendent à la baisse, celles de la vallée d’Aspe sont stables. Les différentes recherches menées sur l’écophysiologie de l’espèce mettent en évidence une marge adaptative des têtards entre leur température optimale et la température effective des ruisseaux, ainsi que l’importance de la mosaïque paysagère pour les adultes. On notera que, en plus du changement climatique, de très fortes pressions anthropiques mettent en danger cette espèce endémique et nécessitent des actions très rapides.
La Grenouille des Pyrénées, Rana pyrenaica, est une espèce endémique de l’ouest des Pyrénées. Elle n’est connue que de quelques ruisseaux du Pays basque et de la Vallée d’Aspe, ce qui en fait l’une des espèces d’amphibiens les plus rares et menacées de France métropolitaine.
Depuis 2012, un suivi de la réussite de la reproduction est réalisé tous les ans sur l’ensemble des sites de présence de l’espèce. Le comptage répété des têtards sur un ensemble de placettes prédéfinies aboutit aux résultats suivants :
– Très forte variabilité interannuelle et intersite.
– Les effectifs sont en baisse sur les secteurs du Pays basque, à l’exception du site d’Esterençuby où le nombre de têtards se maintient à un niveau élevé (graphes ci-dessous).

Évolution des effectifs des têtards de Grenouille des Pyrénées sur le site « Lecumberry »

Évolution des effectifs des têtards de Grenouille des Pyrénées sur le site « Esterençuby »
– Les effectifs semblent stables en Vallée d’Aspe (graphe ci-dessous).

Évolution des effectifs des têtards de Grenouille des Pyrénées sur le site « Aspe Est I »
– Les effectifs les plus importants sont situés sur les secteurs les plus préservés et les plus isolés.
– Les sites avec les plus faibles abondances correspondent à des sites concernés par l’introduction de poissons (truites) et par une activité d’exploitation forestière trop importante.
– Les impacts du changement climatique semblent venir s’ajouter à ces deux dernières problématiques. Les hivers trop chauds semblent avoir un impact négatif sur la reproduction (probablement de façon indirecte, car ils entrainent une faible hauteur de neige et une faible hauteur d’eau dans les ruisseaux au printemps), tout comme les épisodes de crues printanières (de façon directe, par lessivage des ruisseaux, entrainant une dérive vers l’aval des têtards et une surmortalité).
En 2017, ont débuté des études de modélisation mécanistique pour appréhender le lien entre température, humidité et physiologie de l’espèce.
Pour la première fois, en déployant des expériences inédites d’écophysiologie in situ, la température optimale d’activité des têtards a pu être estimée entre 13,1°C et 14,3°C (graphe ci-dessous).

Température optimale pour les têtards de Grenouille des Pyrénées estimée à partir de 3 distributions statistiques
On peut comparer ces températures aux conditions microclimatiques réelles telles qu’elles ont pu être mesurées, ici encore pour la première fois, de façon statistique sur 4 cycles de vie annuels complets (entre 2017 et 2021). Un important paradoxe a ainsi été révélé : les têtards de Grenouille des Pyrénées sont des généralistes (d’un point de vue thermique) avec une largeur de performance écophysiologique très importante au vu de la gamme de température du milieu. Par ailleurs, leur développement s’effectue dans des eaux bien plus froides que leur température optimale. Ceci représente une possible marge adaptative de sécurité des populations face au changement climatique.
Cette hypothèse est toutefois à nuancer selon les sites : les températures de l’eau à basse altitude (vallée d’Aspe), comparées à celles à plus haute altitude (Pays basque), sont toujours supérieures de 1°C, voire plus de 2°C, pendant la période de développement des têtards. Sans ambigüité aucune, la marge thermique est donc plus importante à haute altitude ce qui confère, de facto, une plus grande vulnérabilité aux populations de basse altitude.
Par ailleurs, le risque de déshydratation des grenouilles adultes a pu être quantifié de façon expérimentale in situ. Compte tenu de la très grande vulnérabilité de l’espèce et l’impossibilité d’étudier les individus en laboratoire, des suivis originaux avec des modèles biomimétiques en agarose (considérés comme des « avatars » de véritable grenouille) ont été mis en place sur le terrain. Le déploiement dans des conditions choisies a permis d’étudier de façon inédite, sur des cycles de 24h, la déshydratation théorique des adultes de différentes tailles en fonction de variables microclimatiques, de la saison, de l’habitat et du comportement. L’analyse statistique permet de dégager des tendances assez claires :
– Les taux de déshydratation horaire seraient supérieurs chez les grenouilles de petite taille (type Grenouille des Pyrénées) comparés à des grenouilles plus grosses présentes aussi sur les sites étudiés, comme la Grenouille rousse, Rana temporaria.
– Le fait qu’elles soient exposées (actives) le jour par opposition à la nuit, dans des habitats ouverts ou fermés aurait des conséquences fortes. De façon évidente, la déshydratation serait supérieure chez les grenouilles actives pendant le jour, s’aventurant ou vivant en milieu ouvert.
– Le taux de déshydratation observé varie au cours du cycle nycthéméral*, en étant plus prononcé l’après-midi que le matin. La vulnérabilité de la Grenouille des Pyrénées face à un environnement qui deviendrait plus chaud (donc plus contraignant face au risque de déshydratation, bien que l’évaporation engendre un effet « refroidissant ») pourrait dépendre de son cycle d’activités au cours du nycthémère*. De façon logique, le choix d’une activité aux heures chaudes de la journée (après-midi) sera la stratégie la pire face au risque de déshydratation, sauf si l’individu dispose de refuges faciles à utiliser dans des habitats boisés ou s’il modifie son comportement.
– De façon surprenante, la saison a un effet assez net : la déshydratation serait supérieure chez les grenouilles pendant l’hiver (qui correspond à la saison de reproduction). On pourrait s’attendre à ce que les effets des canicules hivernales (des canicules « précoces » en quelque sorte, un phénomène nouveau) soient par conséquent plus importants.
Sur la base (indicative seulement !) des modélisations corrélatives établies à partir de la niche thermique estimée des adultes (elle-même établie à partir d’informations lacunaires basées sur la répartition actuelle, limitée en Nouvelle-Aquitaine à 5 sites), les projections pour le futur font état d’une diminution possible des secteurs favorables quel que soit le scénario climatique. Les projections obtenues, qui supposent une dispersion possible sur plusieurs kilomètres, suggèrent la quasi-extinction des populations de Nouvelle-Aquitaine d’ici 2100 sous le scénario climatique futur le plus pessimiste (RCP8.5). Sous l’hypothèse du scénario RCP2.6, la perte potentielle de secteurs climatiquement favorables serait la mieux maîtrisée ; l’interprétation reste encore délicate pour le scénario RCP4.5.
Au final, la situation de la Grenouille des Pyrénées dans les Pyrénées-Atlantiques semble particulièrement critique. De nombreuses menaces pèsent sur l’espèce, auxquelles viennent s’ajouter les effets du changement climatique.
Il convient aujourd’hui de mettre en place des mesures de conservation forte si l’on souhaite pérenniser la présence de l’espèce sur notre territoire :
– mise sous cloche totale des sites majeurs de reproduction (par exemple par Arrêté de Protection de Biotope),
– arrêt définitif de l’introduction de poissons sur les zones de présence de l’espèce,
– réglementation sur la fréquentation de certains sites fragiles,
– veille sur l’exploitation forestière à proximité des sites de présence,
– réflexion sur des actions de renforcement de populations.
Importance des microhabitats climatiques pour le Lézard ocellé en milieu arrière-dunaire
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis du Lézard ocellé et de la modélisation.
Sur la côte atlantique, le Lézard ocellé est menacé par la modification du trait de côte entrainant la réduction de son habitat dunaire. Son maintien est favorisé, entre autres, par l’hétérogénéité du milieu qui lui permet d’adapter son comportement en fonction des conditions climatiques. Des études pour mieux comprendre la dynamique de ces populations pourra permettre leur préservation.
Le Lézard ocellé, Timon lepidus, est une espèce ectotherme à mobilité réduite, soumise aux variations et aux modifications de son habitat.
Depuis 2017, les populations de Lézard ocellé des dunes littorales sont étudiées sur l’ensemble du littoral girondin et landais, de l’embouchure de l’Adour à la pointe du Verdon-sur-Mer. Ce milieu est particulièrement fragile puisqu’il est soumis à des événements climatiques forts tels que les vagues submersives, l’avancée soudaine ou le recul brutal du trait de côte.
Des suivis naturalistes sur 79 placettes le long du littoral (de 2017 à 2021) ont mis en évidence la fragmentation de la répartition du Lézard ocellé, entre des secteurs dits « hotspots », où l’indice d’observation est important, stable voire croissant, et des secteurs de coupure entre ces « hotspots » (carte ci-dessous).
Il s’agit de secteurs fortement anthropisés ou de secteurs ayant subi des modifications brutales et importantes, suite à des événements climatiques hivernaux (tempêtes, vagues submersives, avancée de la dune blanche jusqu’à la forêt, etc.).

Identification des secteurs « hotspots » et des zones de rupture le long du littoral de l’ex-Aquitaine
Des observations intéressantes de l’espèce ont été réalisées un peu plus à l’intérieur des terres au niveau des grands lacs médocains. Combinées à l’analyse des habitats, ces observations suggèrent que les populations de Lézard ocellé seraient capables de subsister si elles réussissent à coloniser des habitats plus stables.
Cela serait possible grâce à une gestion qui favoriserait la dispersion par et vers des milieux ouverts, tels que les pistes de défense des forêts contre les incendies, les coupes franches forestières arrières-dunaires, les patchs forestiers, etc.
La gestion mise en place doit aussi permettre de conserver une mosaïque d’habitats qui offre un gradient thermique dans le paysage. En effet, comme tout reptile ectotherme, le Lézard ocellé occupe une niche thermique spécifique. Ainsi, pour assurer ses besoins vitaux, l’espèce doit avoir accès à des abris variés et à des ressources diversifiées dans son milieu d’accueil.
Pour comprendre l’effet des conditions environnementales sur l’écophysiologie des espèces, des modèles biomimétiques ont été déployés sur certains sites. Ils enregistrent un « proxy » de la température corporelle des individus à une fréquence de 15 minutes pendant la période critique de la reproduction. À partir des préférences thermiques pour l’activité (déplacement, chasse, reproduction, etc.), les temps journaliers d’activité au cours de la période de reproduction sont calculés. Le déploiement de stations météorologiques sur ces mêmes sites permet l’enregistrement de la température et de l’humidité relative de l’air. Ainsi, le temps journalier d’activité est modélisé en fonction de la température moyenne, de l’amplitude thermique, de l’humidité relative et des interactions entre ces variables.
Les résultats montrent que le temps d’activité est le plus fortement réduit au cours des journées chaudes présentant une grande amplitude thermique (graphes ci-dessous). Dans le contexte du changement climatique, les conditions décrites seront de plus en plus fréquentes. Elles conduiront à une hausse de la probabilité d’extinction liée à la baisse du temps d’activité.

Représentation théorique du temps d’activité du Lézard ocellé
L’indice de persistance nouvellement développé permet de calculer la probabilité d’extinction à partir du temps total d’activité sur la période de reproduction. La variabilité des indices de persistance observée au sein d’un même site montre que le paysage thermique (variabilité des microclimats au sein d’un même espace) offre la possibilité aux individus de tamponner les effets du changement climatique. Enfin, pour cette espèce qui présente un temps de génération de 3 ans, la variabilité interannuelle indique que le succès reproducteur d’une année défavorable pourrait être compensé par une année favorable.
La modélisation de l’évolution des aires favorables au Lézard ocellé permet d’identifier les variables environnementales qui expliquent le mieux sa répartition. La variable climatique la plus explicative est le rayonnement solaire. Viennent ensuite deux variables d’occupation du sol (pourcentage de dune et pourcentage de pelouse) qui traduisent l’importance des habitats ouverts pour l’espèce. Des variables relatives à l’aridité et à la variation des températures sont également très explicatives : des milieux chauds et plutôt secs semblent plus favorables au Lézard ocellé. D’après les projections, les zones favorables pour le Lézard ocellé s’étendraient (cartes ci-dessous).
Bien que le type de milieu soit identifié comme important par les modèles, ces derniers indiquent une dispersion de l’espèce vers des habitats fermés, comme le massif forestier landais. Il convient donc de rester très prudent quant à ces premières cartes puisqu’elles questionnent sur les capacités de colonisation de l’espèce vers des habitats qui ne semblent pas favorables.
Une modélisation à résolution spatiale plus réduite, de l’ordre de l’hectare, pourrait permettre de mieux prendre en compte l’effet de l’habitat sur la présence de l’espèce et d’obtenir des cartes plus fiables. Pour autant, en s’appuyant sur les résultats précédemment décrits, elles permettent d’envisager une stratégie de gestion d’ouverture des milieux pour favoriser la colonisation.

évolution des aires climatiques favorables au Lézard ocellé par rapport au présent
Les résultats des méthodes précédentes, permettent de tirer plusieurs conclusions.
Nous aurions pu nous attendre à ce que le Lézard ocellé soit peu ou tardivement impacté par le changement climatique, car il est d’affinité climatique méditerranéenne. Pourtant, les suivis à moyen terme montrent que les pressions thermiques affecteraient drastiquement les populations via la disparition des microhabitats ainsi que des niches écologiques et thermiques. Le maintien d’une mosaïque d’habitats offrant un gradient thermique de microhabitats paraît indispensable.
Outre l’évolution des températures en elles- mêmes, il est probable que le premier facteur d’extinction locale de l’espèce en dune grise soit la perte d’habitat, liée à l’érosion et au recul du trait de côte, amplifiés par le changement climatique. Il paraît primordial d’être vigilant sur la conservation des secteurs « hotspots » puisque ces populations pourraient constituer des sources de dispersion vers les secteurs en pénurie et à l’intérieur des terres. Une disparition de ces secteurs particulièrement riches pourrait grandement réduire les possibilités de conservation de l’espèce en milieu dunaire.
Ainsi, si les effets directs du changement climatique ne peuvent pas être complètement stoppés, il est possible de les tamponner par la mise en place d’actions de gestion de la dune grise et de la dune arborée. La préservation d’une mosaïque d’habitats et d’un gradient thermique est la clé pour limiter les effets du changement climatique. La création de clairières ou de coupes franches en milieu forestier le long du littoral ou vers les terres permettrait la continuité écologique et la persistance du Lézard ocellé sur nos côtes.
Rôle des milieux humides pour atténuer les effets du changement climatique dans le cas du Lézard vivipare
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis du Lézard vivipare et de la modélisation.
Le lézard vivipare, qu’il soit ovipare (dans le Massif landais et les Pyrénées), ou vivipare (dans le Limousin), recherche des conditions plus fraiches et plus humides que le Lézard des murailles. La qualité des microhabitats présents dans son milieu de vie est aussi essentielle pour lui permettre d’ajuster ses comportements et ainsi résister à la chaleur et à la sécheresse. Il est primordial de travailler à la conservation des lagunes du Massif landais, véritables capsules climatiques pour cette espèce, mais aussi pour tout un cortège patrimonial dans le Sud-Ouest.
Le Lézard vivipare, Zootoca vivipara, espèce à affinité climatique froide, est particulièrement vulnérable face au réchauffement climatique.
Parfois abondante en altitude, l’espèce est beaucoup plus rare en plaine où elle est principalement observée au sein de milieux humides.
En Nouvelle-Aquitaine, l’espèce présente la particularité d’avoir deux sous-espèces avec des modes de reproduction différents.
La sous-espèce « louislantzi » est ovipare (elle pond des œufs) et ne se retrouve en France que dans le Sud-Ouest (Massif landais et Pyrénées). Ses habitats préférentiels sont sujets aux perturbations climatiques comme l’assèchement brutal et la modification de la flore représentative des zones humides du Massif landais.
La sous-espèce « vivipara » est vivipare (elle met bas des petits). Elle a une répartition septentrionale étendue, dont la limite sud en France atteint le Massif central.
Nos travaux sont menés sur les deux sous-espèces, nous permettant de vérifier la sensibilité des populations de plaine du Massif landais au changement climatique et aux perturbations du milieu, l’importance des microclimats pour la persistance de l’espèce, ainsi que l’effet du mode de reproduction sur les capacités de persistance.
Des suivis naturalistes sur des sites d’étude permettent de visualiser les tendances évolutives de la répartition et de l’abondance du Lézard vivipare dans le Massif landais et en Limousin, en lien avec d’éventuelles variations climatiques, mais aussi d’observer la progression du Lézard des murailles, Podarcis muralis, espèce plus thermophile et anthropophile.
En parallèle, nos travaux de recherche ont pour objectifs de comprendre les déterminants de la répartition de cette espèce à partir des données de présence (observations) issues des différents observatoires infrarégionaux, ainsi que les effets du mode de reproduction sur la niche de l’espèce.
Notre hypothèse principale est qu’un faible contraste des niches thermiques/hydriques et physiologiques permet d’expliquer la répartition différenciée de ces deux sous-espèces en Nouvelle-Aquitaine dans des contextes proches. Il est ainsi important d’identifier les paramètres physiologiques et comportementaux proximaux qui sous-tendent les adaptations climatiques propres à l’espèce et aux sous-espèces tout en explorant les déterminants climatiques de la répartition et l’importance des gradients environnementaux.
Les premières analyses diachroniques, menées sur les 5 premières années de suivi, permettent de pointer des variations interannuelles importantes du nombre de lézards vivipares observés. Ces variations sont étroitement liées aux conditions météorologiques et aux précipitations. Le nombre d’individus en activité était très faible durant les années sèches et chaudes, comme 2017 et 2019 (graphe ci-dessous).

Comptages annuels de l’activité des lézards vivipares
Cette dépendance à l’humidité pour l’activité de surface se confirme au travers des relevés météorologiques in situ, avec une corrélation positive entre le nombre d’individus observés et les conditions d’hygrométrie (graphe ci-dessous).

Influence de l’hygrométrie sur les observations chez le Lézard vivipare
En revanche, la corrélation entre le nombre de lézards vivipares observés et la température est négative (graphe ci-dessous).

Influence de la température sur les observations chez le Lézard vivipare
En parallèle, les études en laboratoire ont permis de montrer que le Lézard vivipare, qu’il soit ovipare ou vivipare, présente des pertes hydriques cutanées plus importantes que le Lézard des murailles et révèlent ainsi une sensibilité forte de l’espèce face à l’évaporation.
Par ailleurs, les données expérimentales en enceintes climatiques démontrent que les contraintes hydriques augmentent le stress oxydatif des femelles pendant la gestation (mode vivipare), ainsi que des gains de masse corporelle moindres et des pertes musculaires (graphe ci-dessous).
Ces études mettent en évidence l’importance de la disponibilité de microhabitats humides pour le maintien de la balance hydrique, du succès de reproduction et in fine de la résilience des populations.

Influence des conditions expérimentales sur les variations de masse et de musculature des femelles en cours de gestation
La modélisation de la répartition actuelle du Lézard vivipare montre que la forme ovipare utilise des conditions plus chaudes et moins arrosées que la forme vivipare. La présence de zones humides est également un des facteurs retenus pour expliquer une partie de la répartition de la forme ovipare.
Les modélisations pour les différents scénarios de changement climatique suggèrent une régression totale dès 2050 des conditions climatiques permettant le maintien de la forme ovipare en plaine, et une contraction majeure des zones favorables dans les zones d’altitude des Pyrénées.
Pour la forme vivipare, les projections futures suggèrent une contraction rapide dès 2050 des secteurs propices à son maintien autour de l’arc tourbeux du plateau de Millevaches, jusqu’à disparition potentielle de l’espèce du Limousin en 2100.
Les microclimats sont essentiels pour permettre l’ajustement des comportements de thermorégulation et d’hydrorégulation. Le maintien d’une diversité de microhabitats à une petite échelle spatiale est une action prioritaire. Les habitats humides, notamment en plaine, jouent déjà le rôle de « capsule climatique » dans les zones fortement exposées aux aléas climatiques. Mais ces habitats sont mis à mal par les pressions anthropiques locales. Gérer et restaurer ces zones humides permettrait de renforcer et pérenniser cet effet protecteur en plus d’être un véritable levier pour atténuer les effets du changement climatique, à l’échelle régionale (carte ci-dessous).

Potentialités régionales en zones humides
(par mailles de 4 ha)
Les lézards gris de montagne : la course au sommet
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis des lézards gris de montagne et de la modélisation.
Les suivis naturalistes des lézards gris de montagne mettent d’ores et déjà en évidence des mouvements de populations. Si la limite basse de présence du Lézard de Bonnal n’a pas évolué, la présence du Lézard des murailles sur les mêmes secteurs a progressé de 120 m en 10 ans. La modélisation souligne le rôle des microhabitats dans la régulation des rythmes d’activité du Lézard de Bonnal et du Lézard catalan face au changement climatique. La compréhension de son impact sur ces espèces doit être poursuivie.
Endémique des Pyrénées, le Lézard de Bonnal Iberolacerta bonnali, est une espèce strictement inféodée à la haute montagne.
Le Lézard catalan, Podarcis liolepis, est une espèce ibérique qui pénètre dans le sud-ouest de la France via les affleurements rocheux thermophiles de basse et moyenne montagne.
Toutes deux, supposées sensibles au changement climatique, ont été étudiées grâce à des suivis répliqués dans le temps et dans l’espace. Il s’agit d’étudier les variations d’abondance et de répartition altitudinale des espèces présentes sur les sites – Lézard de Bonnal, Lézard catalan, mais aussi Lézard des murailles, Podarcis muralis.
Ces premières années de suivi ont montré des mouvements de populations remarquables sur certains sites.
Contrairement à l’attendu, les populations de Lézard de Bonnal semblent relativement fixes durant la période étudiée.
À l’inverse, sur le site d’Arrious, le Lézard des murailles a largement colonisé des sites d’altitude où il n’était pas signalé par le passé. Il a progressé d’environ 120 mètres d’altitude en 10 ans, avec une moyenne d’environ 20 mètres par an depuis 2016. La population de Lézard des murailles englobe désormais dans sa grande majorité la population de Lézard de Bonnal (cartes ci-dessous).

Cartes de chaleur de la répartition altitudinale du Lézard de Bonnal et du Lézard des murailles au cours des années sur le site d’Arrious
Les mouvements de populations de lézards dans les zones de présence du Lézard catalan sont différents.
Sur le site thermophile du chemin de la Mâture, occupé par le Lézard catalan, le Lézard des murailles semble déserter les zones les plus chaudes.
Pour comprendre l’effet des conditions environnementales sur l’écophysiologie des espèces, des modèles biomimétiques ont été déployés sur certains sites. Ils enregistrent un « proxy » de la température corporelle des individus à une fréquence de 10 ou 15 minutes pendant la période critique de la reproduction. À partir des préférences thermiques pour l’activité (déplacement, chasse, reproduction, etc.), les temps journaliers d’activité au cours de la période de reproduction sont calculés. Le déploiement de stations météorologiques sur ces mêmes sites permet l’enregistrement de la température et de l’humidité relative de l’air. Ainsi, le temps journalier d’activité est modélisé en fonction de la température moyenne, de l’amplitude thermique, de l’humidité relative et des interactions de ces variables.
Pour les deux espèces, le temps d’activité est le plus fortement réduit au cours des journées chaudes présentant une grande amplitude thermique (graphes ci-dessous). Sur les sites plus montagnards, le temps d’activité est également réduit lors des journées chaudes et sèches. Dans le contexte du changement climatique, les conditions décrites seront de plus en plus fréquentes. Cela alerte sur la pérennité de ces espèces sur le long terme, en particulier le Lézard de Bonnal, plus sensible aux conditions d’humidité du milieu que le Lézard catalan.

Représentation théorique du temps d’activité du Lézard ocellé
L’indice de persistance nouvellement développé permet de calculer la probabilité d’extinction locale à partir du temps total d’activité sur la période de reproduction. La variabilité des indices de persistance observée au sein d’un site montre que le paysage thermique offre la possibilité aux individus de tamponner les effets du changement climatique en modulant leur temps d’activité. La variabilité de cet indice entre les sites suggère des réponses différentes des populations. Ainsi, conserver la mosaïque paysagère constitue un axe de gestion fort des habitats. Enfin, pour ces espèces présentant des temps de génération de 3 ou 5 ans, la variabilité interannuelle indique que le succès reproducteur d’une année défavorable peut être compensé par une année favorable.
Ces résultats rejoignent ceux obtenus à l’issue de la modélisation corrélative de la répartition.
Les variables les plus explicatives de la répartition du Lézard de Bonnal font écho aux conditions hydriques (cumul de neige, humidité relative), à l’équilibre thermo-hydrique du milieu (indice d’aridité) et à la variabilité des températures (95èmes quantiles des températures minimales).
Pour le Lézard catalan, la répartition est expliquée par un indice d’aridité plus faible que pour le Lézard de Bonnal (soit un milieu plus sec et plus chaud), mais aussi par les variations de température, le nombre de jours de pluie et le pourcentage d’occupation du sol par de la pelouse.
Nous soulignons que les variables d’habitat n’ont peu ou pas d’importance, alors que biologiquement ces lézards sont inféodés à des habitats très spécifiques (pierriers, affleurements rocheux).
Il conviendrait de réaliser ces modélisations à une résolution spatiale plus faible, de l’ordre de l’hectare, pour mieux prendre en compte l’effet de l’habitat sur la présence de ces espèces.
Le futur des lézards gris de montagne est encore difficile à appréhender.
D’affinité méditerranéenne, le Lézard catalan ne semble pas immédiatement menacé. Le changement climatique devrait même, dans un premier temps, lui être profitable. De plus, son habitat très spécifique (affleurements rocheux de basse et moyenne montagne) est peu impacté par l’activité anthropique.
Le Lézard de Bonnal occupe également des habitats plutôt bien préservés (pelouses et éboulis de haute altitude), pour beaucoup inclus au sein du Parc National des Pyrénées. Cependant, le changement climatique semble lui imposer de nouvelles contraintes thermo-hydriques mais aussi biotiques, dont les impacts sur le long terme restent encore flous. La remontée du Lézard des murailles pourrait s’accompagner de la remontée des prédateurs de cette espèce et de transferts de pathologies.
Poursuivre les suivis de ces lézards gris permettra d’aborder différentes perspectives. Parmi celles-ci, la modélisation de l’abondance des espèces sur les sites suivis en transect permettrait de quantifier les effectifs et d’étudier leurs variations. Enrichir les séries d’indice de persistance permettra d’appréhender la dynamique des populations sur une ou plusieurs générations. Il serait aussi intéressant de calculer les temps d’activité du Lézard des murailles pour les comparer avec ceux du Lézard de Bonnal et du Lézard catalan.
De manière générale, une meilleure connaissance du fonctionnement de ces populations montagnardes conférera des supports pour une gestion plus adaptée.
Rôle des milieux humides pour atténuer les effets du changement climatique : Vipère péliade et Vipère aspic
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis des vipères et de la modélisation.
Les différences écophysiologiques entre la Vipère péliade et la Vipère aspic permettent de comprendre leurs répartitions différenciées et leurs besoins réciproques. La Vipère péliade est plus adaptée à des environnements plus frais et plus humides. Pour autant, les vipères sont capables d’adapter leurs comportements et de rechercher des microhabitats atténuant les effets d’un environnement trop sec. Malgré cela, le changement climatique en cours pourrait à terme remodeler totalement la localisation des secteurs climatiquement favorables à ces deux espèces.
La Vipère péliade, Vipera berus, est une espèce à affinité climatique froide particulièrement vulnérable face au réchauffement climatique. En Nouvelle-Aquitaine, l’espèce est exclusivement présente en altitude dans le Limousin, principalement observée au sein de milieux humides. Ses habitats préférentiels sont sujets aux perturbations climatiques comme l’assèchement des tourbières et la modification de la flore associée.
La Vipère aspic, Vipera aspis, espèce de climat tempéré, est présente en plaine mais aussi dans les Pyrénées jusqu’à des altitudes importantes.
Nos travaux de recherche sont menés sur ces deux espèces pour clarifier la nature des adaptations physiologiques et leurs implications face au changement climatique et aux perturbations du milieu, ainsi que l’importance des microclimats pour la persistance de l’espèce.
Les résultats présentés ici s’appuient sur des études menées avant et pendant le programme les sentinelles du climat. Elles associent modélisation mécanistique et modélisation corrélative.
Un protocole de suivi a été établi en 2017 mais la difficulté de détection de ces espèces n’a pas permis de réunir suffisamment de données pour analyser des tendances dans l’évolution des populations ou des variations interannuelles en lien avec les conditions météorologiques.
Nos travaux précédents au laboratoire ont mis en évidence des différences physiologiques marquées entre les 2 espèces. Ainsi la dépense d’énergie au repos, mesurée avec le métabolisme respiratoire, est plus élevée chez la Vipère péliade que chez la Vipère aspic. Nous avons également pu montrer que la Vipère péliade présente des pertes hydriques cutanées et totales plus importantes.
Les données expérimentales en enceintes climatiques démontrent que les contraintes hydriques entraînent la déshydratation rapide de la Vipère péliade, avec une augmentation de la mortalité embryonnaire. On observe également une perte de masse musculaire (graphe ci-dessous) liée à un mécanisme physiologique de compensation qui atténue la déshydratation.

Influence de la privation d’eau sur les pertes musculaires
chez la Vipère péliade
Nous avons aussi démontré que la Vipère aspic est capable comportementalement de sélectionner les microclimats humides permettant de compenser ses pertes hydriques dans des conditions globales sèches (graphe ci-dessous).

Utilisation des abris au cours du temps dans différentes conditions expérimentales
La modélisation de la répartition actuelle des deux vipères montre qu’elles présentent des niches climatiques très peu chevauchantes. La présence de la Vipère aspic est liée à des conditions ensoleillées et tempérées, alors que la Vipère péliade exploite les zones à la fois les plus froides et les plus nébuleuses de la région.
La modélisation réalisée selon les différents scénarios de changement climatique suggère une contraction rapide des conditions climatiques favorables à la Vipère péliade, centrée sur les plateaux de Millevaches et de la Courtine, avec une disparition de l’espèce à l’échelle régionale à terme (cartes ci-dessous).

évolution des aires climatiques favorables à la Vipère péliade par rapport au présent
Pour la Vipère aspic, les projections futures suggèrent un glissement des zones favorables à l’espèce (cartes ci-contre, en bas). Dès 2050, l’ensemble des zones les plus fraiches de la région deviennent favorables à l’espèce au détriment de zones géographiques de plus en plus nombreuses à présenter des conditions estivales méditerranéennes, en commençant par le couloir de la Garonne jusqu’au littoral charentais.
Nos résultats suggèrent que le plateau de Millevaches, actuellement occupé par la Vipère péliade, sera favorable à la Vipère aspic au plus tard en 2050.

évolution des aires climatiques favorables à la Vipère aspic par rapport au présent
Les microclimats sont essentiels pour les ajustements de comportements de thermorégulation et d’hydrorégulation. Le maintien d’une diversité de microhabitats à une petite échelle spatiale est une action prioritaire pour ces espèces peu mobiles. Les habitats et microhabitats humides jouent un rôle de « capsule climatique », notamment dans les zones fortement exposées aux aléas climatiques. Mais ces habitats sont mis à mal par les pressions anthropiques locales. Gérer et restaurer la qualité microclimatique des milieux permettrait de renforcer et pérenniser cet effet protecteur en plus d’être un véritable levier pour atténuer les effets du changement climatique, à l’échelle régionale.
La Marmotte des Alpes : un habitat en réduction et une dynamique familiale complexe
Le chapitre complet est disponible en pdf : résultats des suivis des marmottes et de la modélisation.
Une étude de 20 ans dans les Alpes a mis en évidence l’effet négatif du changement climatique sur la Marmotte des Alpes. Qu’en est-il dans les Pyrénées ? Le nombre de marmottons semble diminuer à basse altitude depuis 6 ans. Les variations interannuelles du succès de la reproduction pourraient être en partie liées aux conditions météorologiques. Dans le futur, les secteurs climatiquement favorables à la Marmotte des Alpes pourraient se réduire dans les Pyrénées.
La Marmotte des Alpes, Marmota marmota, est un mammifère vivant au-dessus de la ligne forestière entre 1400 m et 2400 m au sein de milieux ouverts composés de prairies et de zones rocheuses dans des conditions climatiques rigoureuses. Elle vit en groupe familial dont les membres coopèrent pour la reproduction et l’hibernation. Disparue des Pyrénées à la fin de la dernière période glaciaire il y a environ 15000 ans, elle a y été réintroduite entre 1948 et 1998. Comme de nombreuses espèces vivant en milieu montagnard, ce mammifère pourrait être impacté par le changement climatique.
De nombreux facteurs influencent la dynamique des populations de marmottes, en particulier la qualité et l’abondance de nourriture, les aspects sociaux et la qualité de l’hibernation.
Une étude dans les Alpes sur plus de 20 ans a montré que la qualité de l’hibernation dépend à la fois de facteurs climatiques et sociaux. Les températures hivernales et l’épaisseur du manteau neigeux influencent la dépense d’énergie nécessaire aux individus en hibernation pour rester à une température corporelle au-dessus de 5°C, la couche de neige servant d’isolant au terrier. La présence d’individus subordonnés mâles pendant l’hibernation permet d’optimiser la thermorégulation et d’augmenter la survie des jeunes de l’année.
Or, une dépense d’énergie plus importante pendant l’hibernation entraine une consommation plus importante des réserves de graisse, avec pour conséquence des portées moins nombreuses.
Au printemps et en été, l’abondance et la qualité de la nourriture influencent la survie des jeunes de l’année et la capacité des marmottes à faire des réserves pour l’hibernation suivante. La qualité et l’abondance de nourriture vont être déterminées principalement par la date de fonte du manteau neigeux, la température et la pluie pendant toute la période printemps et été.
Pour comprendre plus précisément les impacts du réchauffement sur l’espèce, 15 terriers ont été suivis pendant 6 ans. Chaque année, de juillet à août, le nombre de marmottons et de marmottes adultes y a été compté. Ces données nous permettent de suivre l’évolution des familles et leur succès reproducteur, puis de mettre en lien ces informations avec des données de température et d’humidité relevées sur place.
Globalement, des variations interannuelles importantes sur la reproduction des marmottes ont été constatées. En 2018, 2020 et 2021, peu de marmottons ont été observés par rapport aux autres années. Le nombre d’adultes varie aussi suivant les années, dans une moindre mesure.
Par tranche d’altitude, on observe des différences entre les basses, moyennes et hautes altitudes (graphes ci-dessous).
Le nombre de marmottons est en baisse continue depuis 2016 à basse altitude (< 1800 m). Des variations interannuelles sont observées à moyenne altitude avec une légère baisse du nombre de marmottons. À haute altitude (> 2000 m), les variations interannuelles sont très marquées avec une forte tendance à la baisse ces trois dernières années.
Concernant les adultes comptés, la tendance est moins marquée, mais de fortes variations sont observées à haute altitude.

Nombre moyen de marmottons et de marmottes par tranche d’altitude
Les analyses faites avec les données des stations météorologiques ont montré un effet de la température et de la couverture neigeuse pour les sites à plus haute altitude (mais pas pour les autres sites) pouvant expliquer les variations plus importantes du succès reproducteur.
Cependant, de nombreux autres paramètres peuvent influencer le nombre d’individus par famille : la prédation, la compétition avec d’autres espèces, le dérangement anthropique (pâturage, randonnées, chiens), l’âge du couple reproducteur, le changement de dominance et le nombre de « helpers » par famille. Ainsi, il est important de poursuivre les suivis de ces terriers afin d’affiner les résultats.
L’utilisation de modèles de répartition permet, quant à elle, d’envisager la répartition potentielle future des zones climatiquement favorables aux marmottes à partir de différents scénarios climatiques (cartes ci-dessous).
Les effets du changement climatique induiraient une contraction des secteurs favorables de 11 % à 47 % à l’horizon 2100 selon les scénarios.
Cependant, ces modèles ne prennent en compte que des variables climatiques. Or, d’autres variables, telles que l’évolution des habitats, l’interaction avec d’autres espèces (animales et végétales), l’influence des activités humaines et les capacités d’adaptation des marmottes, peuvent jouer un rôle important dans le maintien ou non des populations.

évolution des aires climatiques favorables à la Marmotte des Alpes par rapport au présent
Modéliser des données paysagères pour les intégrer la mosaïque paysagère dans les modèles de répartition
Le chapitre complet est disponible en pdf : modéliser les données paysagères pour intégrer aux modèles de répartition.
Les modèles corrélatifs visant à étudier le lien entre l’occurrence d’une espèce et des variables environnementales et climatiques, doivent prendre en compte la mosaïque paysagère. Or, l’intégration de variables paysagères dans ce type de modèle impose des contraintes techniques : elles doivent être spatialisées, selon une projection et une emprise géographique similaires à celles des autres variables explicatives utilisées dans le modèle. La conformité des résolutions spatiales et temporelles pose des questions à la fois théoriques et méthodologiques. En effet, les données paysagères sont fréquemment créées avec des bases de données d’occupation du sol, à des résolutions spatiales bien plus fines que celle des données climatiques. Ce chapitre vise à sélectionner les indices paysagers les plus pertinents vis-à-vis de chaque espèce et teste une méthode pour les combiner en un raster unique à intégrer dans le modèle de répartition d’espèce (SDM).
Conclustion
Démarche du programme
La biodiversité est essentielle comme solution pour contribuer à l’adaptation au changement climatique, mais elle est impactée par cette pression. Elle décline actuellement 100 à 1 000 fois plus rapidement que ce qui est considéré comme son rythme d’évolution « naturel ». Selon les dernières estimations des démarches scientifiques, cette perte est exceptionnellement rapide et d’origine anthropique. Une sixième période d’extinction de masse est en cours. Parmi les principales causes, par sa rapidité, le changement climatique est une préoccupation majeure à prendre en compte pour les écosystèmes, pour la flore et la faune sauvages. La pression du changement climatique a la particularité d’alimenter et d’amplifier en rétroaction les autres impacts, tels que la modification ou le changement d’utilisation des terres, la fragmentation de l’habitat, la surexploitation, la pollution, l’appauvrissement des écosystèmes et la propagation des espèces exotiques envahissantes.
L’échelle régionale est un niveau de décision politique intermédiaire, pertinent pour la mise en œuvre d’actions de lutte contre le changement climatique, de préservation de la biodiversité et de médiation. À cette échelle, il est possible de mobiliser une communauté d’acteurs entre science et société et de la placer dans le cadre d’un processus de recherche. Cette « recherche-action » doit reposer sur une méthodologie scientifique indépendante de l’observateur. L’objectif est d’observer, de mesurer, d’analyser et de modéliser les effets du changement climatique sur l’état de la biodiversité, de proposer des solutions pour la conservation des espèces et d’en assurer le suivi dans le temps. Suite aux travaux du Comité Scientifique Régional sur le Changement Climatique en région Nouvelle-Aquitaine constatant le manque de connaissances au niveau régional, le programme de recherche « les sentinelles du climat » en région Nouvelle-Aquitaine a été mis en place. Cette région est un laboratoire à ciel ouvert pertinent par son contexte géographique. En effet, elle est particulièrement exposée au changement climatique et présente une grande variété d’écosystèmes naturels.
Pour mesurer l’état de la biodiversité qui est la clé de la démarche, le choix d’indicateurs permet une réduction du nombre de mesures. Ils simplifient l’approche de phénomènes complexes. Les indicateurs utilisés sont d’ordre biologique et concernent des espèces de flore et de faune étudiées dans leur milieu. L’état et l’évolution de ces indicateurs sont reliés à un ensemble de variables de la pression climatique mesurées localement à des échelles de temps et d’espace différentes. Ces données horaires, journalières et annuelles concernent la température, l’hygrométrie, la pluviométrie, la radiation solaire, la vitesse du vent, et permettent de dégager des tendances de l’impact de leurs variations sur l’état de la biodiversité années après années.
À partir d’un état de l’art des connaissances, de critères définis et d’une importante base de données empiriques des productions d’atlas de la flore et de la faune, des espèces et des groupes d’espèces « indicateurs » ont été développés pour 5 types de milieux naturels sensibles. Une vingtaine d’indicateurs dits « sentinelles du climat » ont été retenus en 2016. Ces espèces ont été sélectionnées selon les critères suivants : une capacité de déplacement limitée, être inféodées aux écosystèmes sensibles au changement climatique, avoir une biologie et une écologie connues, des observations faciles et objectifs de conservation.
L’évolution des indicateurs est suivie pour chacun des écosystèmes et habitats suivants :
- La flore : Communautés végétales des dunes littorales non boisées, des pelouses sèches calcicoles, des tourbières, landes tourbeuses et bas-marais acidiphiles, des lagunes du plateau landais, des rives d’étangs arrière-littoraux, de forêts à Hêtre de plaines;
- les insectes : les lépidoptères des pelouses sèches, de landes humides et des pelouses de montagne, avec deux études spécifiques pour les espèces Phengaris alcon et Parnassius apollo; les Leucorrhines et cortège d’odonates associé des lagunes des Landes de Gascogne ; Gomphocerus sibiricus et le cortège des orthoptères associé des prairies et pelouses de montagne des Pyrénées-Atlantiques ;
- les amphibiens : Hyla molleri des lagunes du triangle landais ; Hyla arborea des mares des landes et du bocage picto-limousin ; Rana pyrenaica des torrents de montagne ;
- les reptiles : Timon lepidus des dunes grises du littoral aquitain ; Zootoca vivipara des landes humides et tourbières de Nouvelle-Aquitaine ; Iberolacerta bonnali et les lézards gris des affleurements et éboulis rocheux de montagne ; Vipera berus et les vipères des landes humides d’altitude ;
- les mammifères : Marmota marmota des pelouses et rocailles pyrénéennes.
L’objectif est ensuite de projeter les réponses mesurées de ces espèces sentinelles face au changement climatique à différentes échelles spatio-temporelles pour proposer des actions de conservation des espèces selon une démarche en 3 étapes clés.
- La première étape appelée « Connaître » définit des indicateurs biologiques pour mettre en place un réseau de suivi des effets sur la biodiversité locale. L’hypothèse de recherche est que les effets locaux peuvent être étudiés à partir d’indicateurs d’espèces de flore et de faune à capacité de déplacement limitée, appelées sentinelles du climat. Chaque indicateur est associé à un protocole de suivi scientifique normalisé à l’échelle locale.
- La deuxième étape « Comprendre » est la standardisation des analyses de données pour relier les variables du changement climatique aux variables des données biologiques de ces espèces sentinelles du climat. Trois échelles d’étude : 1) macro-écologique : les données régionales des observatoires régionaux permettent d’accéder aux données de présence ; 2) méso-écologique : sur des sites d’étude la mise en œuvre de protocoles de dénombrements complète les présences par des données d’abondance ; 3) micro-écologique : les données de sondes biomimétiques et des études en laboratoire permettent d’identifier la niche thermique et hydrique des espèces.
Le changement climatique n’est pas le seul facteur qui doit être mesuré. D’autres facteurs anthropiques sont également pris en compte via l’analyse du paysage selon des indices paysagers. Toutes ces données sont utilisées pour modéliser l’état des réponses des espèces face au changement climatique puis projetées selon les différents scénarios climatiques du GIEC jusqu’en 2100.
3- En troisième étape « Agir », les connaissances permettent de proposer une première réflexion d’actions pour protéger et prévenir l’extinction des espèces et de promouvoir la conservation.
L’objectif à terme serait de développer un programme de surveillance décennal en Nouvelle-Aquitaine au même pas de temps celui des climatologues, adapté à la biodiversité et qui peut être mis à jour régulièrement. Ainsi ce programme servira de système d’alerte, prédisant les zones qui présentent le plus de risques et quand elles le deviendront, ce qu’il convient de mettre en place pour cibler les efforts de conservation et de restauration.
Ce programme original est également en cours de transposition en région Occitanie. La conservation des espèces nécessite d’étudier l’aire de répartition des espèces au-delà des limites administratives. Le programme étendu de Nouvelle-Aquitaine à la région Occitanie permettra la prise en compte d’une échelle d’action plus pertinente pour les espèces. Des échanges avec d’autres régions sont également en cours dans l’objectif de tisser un réseau d’action à l’échelle nationale.
La démarche du programme mise en place s’insère dans le domaine que nous appelons l’« écologie du changement climatique ». Elle est ancrée dans une approche pluridisciplinaire, à l’interface principalement entre l’écologie, la biologie de la conservation et la climatologie, ainsi qu’entre la recherche et l’expertise naturaliste, et entre la science et la société. L’ « écologie du changement climatique » définie ici met en œuvre des actions d’adaptation au changement climatique s’inscrivant dans une démarche de recherche action.
La suite du programme est nommée « les sentinelles du climat 2.0 ». Elle viserait en complément des suivis mis en place lors du programme les sentinelles du climat à définir et à tester plus spécifiquement des actions de conservation de ces espèces sentinelles en collaboration avec les acteurs du territoire. Afin de construire les pistes de réflexion, un colloque sur le programme intitulé « de la connaissance à l’action » a réuni le 26 novembre 2021, les gestionnaires, les décideurs et les acteurs de la conservation à l’hôtel de région de la Nouvelle-Aquitaine. Il présentait l’avancée de la connaissance en écologie du changement climatique en région Nouvelle-Aquitaine et les nouveaux axes de recherche et d’action liés à la biologie de la conservation développés par milieux naturels. Cette conclusion reprend les éléments de conclusion de ce colloque : https://youtu.be/zPdsvYb8-38.
La démarche originale mise en place par Cistude Nature et ses partenaires en Nouvelle-Aquitaine est un programme reproductible. Les méthodes, les outils de traitement de données et le développement d’une communauté d’action, sont transférables à d’autres territoires. Le projet les sentinelles du climat 2.0 a également pour vocation de développer des échanges et des partenariats avec d’autres régions pour tisser le réseau d’action. Le programme en cours de transposition en région Occitanie s’articule en partenariat avec le coordinateur régional de l’association Nature en Occitanie. À l’échelle nationale des synergies peuvent être mises en place avec d’autres programmes comme le projet LIFE NaturAdapt coordonné par les Réserves Naturelles de France qui vise à intégrer les enjeux du changement climatique dans la gestion des espaces naturels protégés européens.
Vers une conservation du milieu dunaire : protéger et restaurer la dune grise
Le milieu dunaire et la côte sableuse subissent directement l’influence des vents, du niveau de la mer et des marées. Le changement climatique induit des menaces relativement rapides et directes (augmentation des sécheresses, canicules) et indirectes (érosions, déplacements de sables avec notamment l’ensablement de la dune grise et d’arrière-dune) sur les dunes. Par exemple, le trait de côte du secteur de l’Amélie dans le Médoc a reculé de 200 m entre 1965 et 2018. La dernière actualisation du rapport de l’Observatoire Aquitain fait état de reculs moyens du trait de côte de 2,5 m/an en Gironde et de 1,7 m/an dans les Landes. Sur la côte sableuse (de la Pointe du Médoc à l’embouchure de l’Adour), l’érosion estimée est de l’ordre de 20 et 50 mètres en moyenne respectivement pour les horizons 2025 et 2050. Ces changements impactent et impacteront les organismes qui vivent sur ces dunes.
La flore des dunes est une flore singulière et à valeur patrimoniale très élevée du fait de son adaptation aux contraintes climatiques de chaleur et de sécheresse, aux contraintes mécaniques d’ensablement et également à la pauvreté du sol. Les impacts seront à trois niveaux :
1) des substitutions de cortège avec des remplacements d’espèces le long du littoral,
2) des pertes d’espèces liées à des stress plus importants sur des végétations plus ouvertes et avec davantage de sable nu et des microhabitats moins diversifiés,
3) des pertes d’habitats liés à une séquence dunaire grise tronquée, c’est-à dire la dune mobile qui sera directement en contact de la forêt,
4) dans certains cas des progressions d’espèces thermophiles indigènes (exemple Osyris alba une espèce méditerranéenne présente en Charente et dans le Médoc qui pourraient s’étendre vers le sud et à l’intérieur des terres) ou d’espèces exotiques (exemple Pittosporum tobira qui pourraient se déployer sur le littoral).
Le Lézard ocellé Timon lepidus, espèce emblématique thermophile est présente du cordon dunaire du littoral atlantique à l’embouchure de l’Adour et l’Ile d’Oléron. Les habitats préférentiels de T. lepidus se trouvent en dune grise. Le Lézard ocellé et ses habitats apparaissent ainsi fortement menacés par les phénomènes d’érosion liés aux montées des eaux et aux épisodes de tempêtes. Les projections suggèrent un déplacement progressif des populations du littoral dans les terres et des pertes d’habitat favorable de 32 à 44% par rapport à la surface de l’habitat actuel. De plus, l’activité en période chaude peut entraîner une température du corps dépassant le maximum thermique critique du Lézard ocellé. Pour se refroidir, les lézards se retirent dans des micro-refuges plutôt que de subir le risque de surchauffe entraînant des modifications de comportement, comme par exemple en diminuant le temps de recherche de nourriture ou de reproduction. Les modifications de son activité normale peuvent à terme entraîner un déclin des populations.
L’évolution du trait de côte semble un phénomène inexorable. Les actions proposées sont de restaurer des continuités écologiques, en reliant des patchs de dune grise sur un gradient sud-nord et en limitant les espèces exotiques qui peuvent altérer les fonctions et la diversité spécifique de la flore des dunes. Sur le gradient est-ouest, des tests d’ouverture de la dune boisée accompagnés d’un suivi de l’évolution des successions végétales et de l’utilisation de ces ouvertures pour le Lézard ocellé sont proposés. Sur le gradient nord-sud, l’identification des ruptures de dunes grises permettraient de recréer les continuités écologiques. Ces actions seront mises en place en partenariat avec les gestionnaires et acteurs du territoire, notamment l’ONF Office national des forêts.
Vers une conservation des milieux secs de plaine : accompagner la méditerranéisation des pelouses calcicoles ?
Les pelouses calcicoles sont réparties majoritairement en Dordogne, dans le Lot-et-Garonne et, dans une moindre mesure, en Gironde et en Pyrénées-Atlantiques. Ces habitats de pelouses sèches se développent sur des substrats calcaires et hébergent une flore particulière avec des espèces telles que Rhaponticum coniferum, Dorycnium pentaphyllum, Argyrolobium zanonii, Fumana ericifolia, Anthericum liliago, Sideritis hyssopifolia subsp. guillonii adaptées à des sols pauvres en nutriments et a un déficit hydrique important en période estivale. Cette végétation est associée à des espèces particulières dont les lépidoptères des pelouses calcicoles (Azuré du serpolet Maculinea arion, Argus bleu céleste Polyommatus bellargus, Flambé Iphiclides podalirius, Fluoré Colias alfacariensis, Soufré Colias hyale, etc.).
Ce milieu et les espèces qu’il renferme sont sensibles à l’augmentation de la fréquence des températures maximales et la diminution des précipitations. Les extinctions locales de populations de lépidoptères se développeront par la modification des espèces végétales hôtes. Globalement les résultats du programme sur les lépidoptères de pelouses calcicoles et les travaux réalisés à l’échelle européenne montrent un appauvrissement des cortèges de lépidoptères. Des espèces, aujourd’hui communes des pelouses et identifiées comme potentiellement sensibles au changement climatique pourraient être prises en compte dans la gestion immédiate comme le Bel Argus (Lysandra bellargus). La création d’îlots de fraîcheur sur les pelouses accompagnerait le maintien et la création d’un réseau de pelouses ouvertes. A contrario, sur certains secteurs d’autres impacts vont se cumuler, dont la fermeture du milieu qui va également se combiner à cet effet du changement climatique.
Ces modifications de pressions climatiques s’appliqueraient sur les cortèges de flore et de lépidoptères avec l’apparition et la propagation d’espèces thermophiles d’affinités méditerranéennes déjà présentes en région. Les projections d’évolution du climat régional indiquent que les étés plus chauds et plus secs favorisent ces espèces dans des zones où elles sont pour l’instant absentes. Les espèces de flore typiques de pelouses calcicoles xérophiles (Staehelina dubia, Brachypodium distachyon, Lavandula latifolia, Helichrysum stoechas, Fumana procumbens, Arenaria controversa) sont réparties principalement dans les secteurs les plus arides et chauds de Nouvelle-Aquitaine, entre le nord-est du Lot-et-Garonne et l’Angoumois. Fumana procumbens illustre cette tendance avec une extension marginale (+25 à +32%) en périphérie de son aire actuelle à court et moyen terme. Également, d’après l’atlas européen et les connaissances actuelles sur l’écologie et les dynamiques de populations de lépidoptères, certaines espèces pourraient étendre leurs aires de répartition du sud-est de la France et/ou de l’Espagne : Zizeeria knysna, Zerynthia polyxena. Ceci conduit à réfléchir sur une gestion adaptée pour ces espèces comme par exemple la Diane (Zerynthia polyxena) en favorisant les aristoloches (genre Aristolochia). Cependant ces perspectives sont limitées par les faibles capacités de dispersion de l’espèce. La continuité des suivis mis en place dans le programme est essentielle pour connaître la vitesse d’évolution des cortèges et observer l’arrivée potentielle de nouvelles espèces.
Une action proposée est d’intervenir, de maintenir et de restaurer une mosaïque d’habitats de milieux ouverts et des îlots de fraîcheur en offrant des refuges microclimatiques pour les espèces animales lors des heures de températures extrêmes. Différents tests de gestion seraient réalisés et dirigés vers une gestion pastorale pour le maintien d’un habitat résilient, plus favorable à la diversité d’espèces qu’avec une gestion mécanique. Une autre action serait le maintien et la création de continuités écologiques pour que les espèces puissent se déplacer plus facilement vers des sites aux conditions climatiques plus favorables. Il s’agirait d’identifier des zones tests dans des contextes paysagers différents, avec plusieurs distances entre des coteaux calcaires. L’identification de ces zones de continuités écologiques en lien avec les scénarios climatiques futurs devra être élaborée en concertation avec les acteurs du territoire. Ces trames climatiques intégreraient également des dispositifs de politiques publiques existants comme les trames vertes et bleues.
Vers une conservation des milieux forestiers de plaine : prévenir la régression potentielle et surveiller les forêts à Hêtre de plaines
Les forts contrastes climatiques entre la plaine et les massifs montagneux sont associés à des spécificités floristiques. Les vallées d’Ossau et Aspe du massif pyrénéen, ainsi que le plateau de Millevaches et les Monts d’Ambazac en Limousin bénéficient actuellement d’un climat frais (< 10°C) et bien arrosé (> 1100 mm/an) sans déficit hydrique. Cela permet ainsi le développement d’espèces d’affinités montagnardes, notamment de tourbières, de forêts à Hêtre et de pelouses psychrophiles. Aux plus basses altitudes, ces espèces peuvent également subsister dans des conditions microclimatiques fraîches en versants nord, dans des vallons encaissés, etc. Les forêts à Hêtre très localisées se développent dans des contextes microclimatiques particuliers, dans des conditions atmosphériques très fraîches, sur des versants exposés au nord ou en fond de vallon. Ces forêts sont des reliques glaciaires en plaines de Nouvelle-Aquitaine. Elles abritent une flore particulière d’affinité montagnarde, avec de nombreuses espèces rares au niveau régional (Carex digitata, Euphorbia hyberna).
Le changement climatique devrait contraindre les conditions favorables au maintien des arbres. Par exemple, le Hêtre (Fagus sylvatica) est déjà en situation de refuge (versants nord, vallons encaissés) dans une grande partie du Bassin aquitain. De 2021-2070 une régression modérée (-18 à -21%) est projetée en limite de son aire dans les secteurs de plaine du Limousin, du piémont pyrénéen et en Dordogne. Cette régression est associée à une progression en altitude dans les hautes vallées pyrénéennes. À l’horizon 2071-2100, la disparition prédite du Hêtre concernerait l’ensemble des zones de basses altitudes, dont l’étage collinéen inférieur (< 500m) en Limousin et dans le piémont pyrénéen. À l’avenir, elles pourraient ainsi disparaître ou se raréfier au profit de végétations forestières plus sèches et plus thermophiles et tendre vers un climax de chênaies-charmaies. Le maintien des suivis dans le programme concernera la vitesse de la modification de réponse du cortège et notamment la notion de dette climatique associée c’est-à-dire le décalage entre la vitesse du changement de la pression climatique sur les milieux et le temps de réponse des espèces qui ne s’exercent pas forcément au même rythme.
Une action proposée pour atténuer les effets du changement climatique serait d’augmenter la capacité de résilience de ces forêts par le maintien et la restauration de la diversité spécifique, par le maintien de classes d’âge variées, qui permet au milieu d’être plus résilient. Une stratégie globale à tester serait d’appliquer une gestion forestière douce dans ces milieux c’est-à-dire en évitant les coupes rases et d’une gestion dirigée en futaie irrégulière. Le maintien et la restauration des continuités écologiques forestières accompagneraient la migration naturelle des espèces vers des zones refuges.
Vers une conservation des milieux humides : rôle des milieux humides pour atténuer les effets du changement climatique
En région Nouvelle-Aquitaine, le triangle landais ou les Landes de Gascogne est une zone dominée par une pinède plantée et exploitée et des patchs d’agriculture. Entre les pins, se retrouvent des milieux humides morcelés tels que les landes humides et les lagunes. À cause d’un réchauffement global et de périodes de sécheresse prolongées, les espèces d’affinités boréales et humides présentes dans ces milieux risquent de disparaître au profit d’espèces d’environnements plus chauds et secs.
Les lagunes du plateau landais sont notamment constituées de végétations amphibies au sein de pièces d’eau soumises naturellement aux variations de leurs niveaux. Les communautés végétales des lagunes du plateau landais hébergent une flore spécifique avec de nombreuses espèces patrimoniales (Caropsis verticillatto-inundata, Littorella uniflora, Drosera intermedia, Luronium natans, etc.) dont certaines à tendance psychrophile (Utricularia minor, Pilularia globulifera). Ces végétations sont adaptées à des sols, des eaux pauvres en nutriments et aux fluctuations des niveaux qui déterminent leur disposition en ceintures autour de la pièce d’eau. Dans le contexte du changement climatique avec des sécheresses et canicules plus intenses, ces végétations amphibies et aquatiques pourraient disparaître ou se raréfier au profit des végétations strictement terrestres impactant les espèces rares et patrimoniales.
Avec des affinités boréo-montagnardes, les trois espèces de leucorrhines : Leucorrhinia albifrons, L. caudalis, L. pectoralis se retrouvent en limite sud-ouest de leurs aires de répartition dans les Landes de Gascogne. Ces populations risquent de se raréfier, voire de disparaître, si les températures moyennes augmentent et que le déficit de pression de vapeur s’installe. Pour le scénario intermédiaire de projection qui est le plus probable, RCP 4.5, la qualité des habitats de Leucorrhinia albifrons diminue au cours du temps de 28% à l’horizon 2100 en particulier pour les zones les plus proches de la côte et au nord du département de la Gironde. Seuls les habitats au centre du triangle landais restent favorables mais la qualité de l’environnement y est diminuée par rapport au présent (perte de 65%). Pour ce scénario RCP 4.5, la qualité des habitats de Leucorrhinia pectoralis baisse au cours du temps sur toute la zone d’étude. Mais certaines lagunes restent adaptées pour l’espèce. À l’horizon 2100, la perte est estimée à 33% par rapport au présent. À l’horizon 2100, les lagunes du triangle landais très favorables sont réduites par rapport au présent (perte de 81%).
La Rainette ibérique (Hyla molleri) est une espèce qui se reproduit dans les milieux humides frais du massif landais de type lagune. La Rainette verte (Hyla arborea) possède une répartition septentrionale étendue dont la limite sud atteint la frange ouest du Limousin. Ces deux espèces sont plus sensibles à la déshydratation que la Rainette méridionale (Hyla meridionalis). Les observations ont montré qu’une année très sèche avec moins 50 mm/mois au printemps semble défavorable aux populations de H. molleri comparée à une année très pluvieuse avec 82 mm/mois au printemps en 2018 (lagunes en eau jusqu’à fin juillet).
Les tourbières forment des reliques glaciaires en Nouvelle-Aquitaine. Les habitats de landes humides et tourbières seraient particulièrement sensibles aux épisodes de sécheresses et de canicules intenses. En effet, les végétations qui les composent trouvent leur optimum dans les régions froides (boréo-montagnardes) où la décomposition de matière organique en condition anaérobie est fortement réduite. Comme les landes humides et les bas-marais acidiphiles, la flore est adaptée à un engorgement plus ou moins régulier par des eaux pauvres en nutriments et acides. Par exemple, Gentiana pneumonanthe est une plante localisée dans des landes mésophiles à hygrophiles ou zones tourbeuses à paratourbeuses. Cette espèce connaîtrait d’abord une relative stabilité en termes de taux d’évolution pour 2021-2070 (+18% et 35%). En revanche, à l’horizon 2100, l’évolution chorologique tend vers une importante contraction de l’aire de répartition avec une régression régionale de -22%. Dans le contexte du changement climatique, ces végétations pourraient disparaître ou se raréfier au profit de végétations de landes plus sèches et de communautés moins oligotrophiles.
Les espèces du cortège de lépidoptères associés aux landes humides sont susceptibles d’être sujettes à des extinctions locales, par exemple le Fadet des laîches (Coenonympha oedippus) ou encore l’Azuré des mouillères (Phengaris alcon). Selon les scénarios climatiques les plus pessimistes, des espèces déjà classées vulnérables seront en quasi-disparition voire disparition en 2100 : Phengaris alcon, Parnassius apollo, Coenonympha oedippus, Carterocephalus palaemon ; ainsi que d’autres espèces Plebejus argyrognomon, Brenthis hecate, Minois dryas, Cupido alcetas, Lycaena dispar Aphantopus hyperantus, Cupido minimus. Phengaris alcon ou l’Azuré des mouillères est une espèce principalement liée aux milieux ouverts humides avec la présence de son unique plante hôte en Aquitaine la Gentiane pneumonanthe (Gentiana pneumonanthe) ainsi que les colonies de fourmis du genre Myrmica. Pour l’ensemble des scénarios climatiques, la répartition a une tendance de diminution au cours du temps de plus de 80% en 2100 pour les scénarios les plus pessimistes. Une hypothèse de remontée de l’espèce en altitude au-delà de 1004m expliquerait la persistance de l’espèce dans les massifs montagneux.
Le lézard vivipare (Zootoca vivipara) est également une espèce d’affinité climatique fraîche. Abondante en altitude, l’espèce est beaucoup plus rare en plaine où elle se cantonne à ces milieux de landes humides. Le changement climatique pourrait impacter fortement l’espèce par extinction locale des populations suite à la disparition de ses habitats en plaine et par l’entrée progressive de Podarcis muralis. En Nouvelle-Aquitaine, deux formes de reproduction existent chez cette même espèce, la forme ovipare (Z. vivipara louislantzi) présente dans le sud-ouest de la région et la forme vivipare (Z. vivipara vivipara). Les populations de la forme ovipare en Gironde sont étroitement associées à des conditions climatiques spécifiques (pluviométrie plus élevée). Les spécificités climatiques du triangle landais ont probablement une importance majeure dans le maintien de cette forme dans un secteur de basse altitude exposé à des températures élevées. Il est possible que la reproduction vivipare soit plus contraignante avec des besoins en eau plus élevés. L’accès à l’eau dans le milieu semble être un facteur important qui façonne le niveau de pertes hydriques. Les résultats des travaux expérimentaux menés sur la forme vivipare montrent une forte sensibilité thermique et hydrique pendant la phase de gestation. Les femelles exposées à des conditions chaudes et desséchantes ont une masse moins importante pendant la gestation et mobilisent leurs protéines musculaires pour compenser le manque d’eau. La comparaison de la sensibilité aux pertes hydriques avec le Lézard des murailles souligne la plus grande vulnérabilité des Zootoca vivipara aux pertes hydriques.
La Vipère péliade (Vipera berus) est une espèce à affinité climatique froide et est particulièrement vulnérable aux modifications climatiques influant sur la qualité de ses habitats et perturbant directement la physiologie et la phénologie de la reproduction. La limite sud de répartition de la Vipère péliade (Vipera aspis) se trouve dans le Massif central. En marge de répartition, les espèces à affinités climatiques froides sont particulièrement dépendantes de conditions climatiques et microclimatiques spécifiques. La Vipère aspic est une autre espèce de vipère présente en Nouvelle-Aquitaine. En combinant l’approche corrélative et mécanistique des différences marquées sont notées entre la Vipère péliade et la Vipère aspic. Les épisodes caniculaires ont des répercussions sur les températures corporelles des individus de Vipère aspic. En journée, les femelles évitent les températures critiques maximum (>35°C) en sélectionnant des microhabitats appropriés. Le réchauffement passif la nuit a également des conséquences délétères (mobilisations des réserves). Ces résultats obtenus chez la Vipère aspic offre une base de compréhension mécanistique pour la Vipère péliade. Cette espèce présente un taux métabolique plus élevé, les contraintes énergétiques devraient être encore plus marquées. Le taux métabolique élevé lui permet d’exploiter des zones froides mais devient très défavorable dans un contexte climatique de réchauffement diurne et nocturne. La Vipère péliade est particulièrement vulnérable aux conditions estivales qui correspondent à la période de gestation (juin à août). Enfin, les épisodes caniculaires entraînent une avance importante des dates de mises-bas mais génèrent aussi un amaigrissement plus important sur les femelles après la mise-bas. La répétition d’évènements extrêmes pourrait avoir des répercussions en affectant la dynamique de population.
L’ensemble des résultats montre une régression des espèces à affinité humides et fraîches avec l’augmentation des températures et des sécheresses au profit d’espèces adaptées au contexte plus sec. Le dispositif de suivis peut évoluer en augmentant le nombre de sites en ex-Poitou-Charentes et en mettant en place des suivis de niveaux et de température de l’eau et du sol. Les observations ont relevé l’impact fort des activités humaines périphériques des zones humides. Une étude comparative des réponses des espèces dans différents niveaux d’état de conservation des milieux déterminerait les seuils de résilience des espèces. Cette étude est cependant délicate du fait du cumul des pressions sur la biodiversité dans des milieux dégradés. Pour l’ensemble de ces habitats humides, les résultats montrent l’importance du paramètre humidité. Il sera nécessaire de renforcer les actions de conservation interventionnistes sur ces habitats dans le futur qui sont les clés d’un bon état. Il s’agit du maintien d’un régime hydrologique suffisant (lutte contre le drainage et la baisse du niveau des nappes de surface), la restauration et l’augmentation de la surface des lagunes, la création de connexions des zones humides, et le renforcement des actions sur les espèces protégées en forte diminution. À l’échelle des sites et des paysages, une mosaïque de microhabitats est indispensable pour que les espèces puissent trouver des refuges climatiques. Une étude spécifique pourrait aborder la structuration de mosaïques paysagères optimale dans une optique de fonctionnalité globale (connexions écologiques et zones favorables) et celle de microrefuges frais à l’échelle du site en concertation avec les différents acteurs du territoire qui agissent et interagissent avec ces milieux.
Vers une conservation des milieux de montagne : la vulnérabilité des espèces de hautes altitudes
Le milieu montagnard est constitué de zones de gradients climatiques altitudinaux. Les différences de saisons y sont plus marquées, impactant directement la phénologie et le gradient de répartition altitudinal des espèces des montagnes des Pyrénées. Les espèces des régions de montagne seront particulièrement touchées et susceptibles d’un risque d’extinction locale rapide. La diminution de l’épaisseur du manteau neigeux et l’augmentation des températures du sol se combinent dans l’évolution du milieu qui peut alors être occupé par d’autres espèces, plus opportunistes et entraîner le déclin des espèces de haute altitude. Ce milieu est aussi occupé par des espèces endémiques, adaptées aux conditions extrêmes de la montagne.
Les espèces de haute altitude, comme l’Apollon (Parnassius apollo), semblent en régression en lien avec le changement climatique et la perte d’habitat. Strictement montagnarde, elle fréquente les pelouses rocailleuses, les éboulis, les clairières et lisières forestières ainsi que les bords de route où se développent ses plantes-hôtes. Elle affectionne les milieux thermophiles bien exposés et de ce fait s’observe rarement en versant nord, sauf en cas de fortes chaleurs l’été. D’après la modélisation, la probabilité de présence est corrélée à un nombre de jours de neige élevé (un nombre de jour supérieur à 50 est le plus favorable). Pour l’ensemble des horizons et dans le cas des scénarios climatiques, la répartition de cette espèce a une tendance à la diminution de 20 à 30% en RCP 2.6, de 10 à 73% en RCP 4.5 et de 34% à 97% en RCP8.5. Sur le site Arrious, il est remarqué une baisse des effectifs d’Apollon depuis 2017 qui devra être confirmée par les suivis des années suivantes mais qui montre un constat inquiétant sur ce site. Globalement, la moyenne du nombre d’espèces strictement inféodées au milieu montagnard sur l’ensemble des sites est en continuellement en baisse depuis 2018. Les suivis sur l’évolution du cortège montagnard ont montré de plus en plus d’observations de l’espèce de plaine le Demi-Deuil (Melanargia galathea). Pour l’ensemble des espèces de plaine, les résultats montrent des observations de ces espèces plus importantes en 2019 correspondant à l’année avec des températures maximales supérieures donc potentiellement plus favorables pour ces espèces.
Parmi les insectes, le nombre et la diversité des espèces d’orthoptères décroissent avec la latitude, et seules quelques espèces se rencontrent au nord dans des zones subarctiques ou à haute altitude dans les régions alpines. Dans la littérature, l’espèce de haute altitude Gomphocerus sibiricus était observée dans les Pyrénées espagnoles dès 1400 m dans la Vallée de Benasque alors que 19 ans plus tard, elle n’est présente qu’à partir de 1800 mètres. Dans le programme, cette espèce n’a pas été observée en dessous de 1888 m sur le massif du Pic de Chérue, et 90% de la population se retrouve au-dessus de 1975 m. Ces éléments semblent montrer que cette espèce monterait progressivement vers des altitudes plus élevées. Les suivis mis en place dans le cadre du programme sur le plus long terme pourront confirmer ou infirmer cette tendance. Le suivi de l’évolution du cortège d’espèces permettra d’étudier l’éventuelle remontée progressive vers des altitudes plus élevées des espèces afin de se maintenir dans des conditions climatiques équivalentes.
Les espèces de lézards d’altitude, endémiques des Pyrénées, semblent aussi fortement menacées par l’élévation des températures, par exemple le Lézard de Bonnal (Iberolacerta bonnali). La remontée d’espèces compétitrices a été observée par exemple le Lézard des murailles Podarcis muralis à des altitudes où il était absent, dans les secteurs de présence du Lézard de Bonnal. Les projections montrent que le Lézard de Bonnal subirait une contraction de son aire de répartition en Pyrénées-Atlantiques jusqu’à un habitat résiduel au Sud-Est du département aux frontières de l’Espagne et des Hautes-Pyrénées. Elles indiquent une contraction progressive de l’habitat disponible, d’abord à l’ouest puis à l’est, quel que soit le scénario climatique. D’après les scénarios RCP 2.6 et 4.5 (sauf horizon lointain), une perte d’habitat de 18,2 à 27,6% est prédite. Enfin, à 2100, le scénario RCP 4.5 indique une perte de 65% de l’habitat et pour le RCP 8.5 une perte de 89,2% de l’habitat ; seules les populations au sud-ouest du département proche du lac d’Arrious survivraient. Les premiers résultats sur le terrain montrent que les aires de répartition semblent fixes de 2017 à 2021. En revanche, le Lézard des murailles semble s’étendre en altitude sur un des sites d’étude du Lézard de Bonnal. Sur le site d’Arrious, les déplacements d’aire chez le Lézard des murailles, avec une forte colonisation de l’espèce en altitude, sont clairement visibles depuis le début de suivi. Entre 2011 et 2017, l’altitude maximale du Lézard des murailles est passée de 2 045m à 2 082m. Entre 2017 et 2019, cette hauteur maximale est passée de 2 082m à 2 167m. Cette hausse s’est poursuivie en 2020 avec un Lézard des murailles observé à 2 175m. Le Lézard des murailles est toujours présent à basse altitude.
La diminution de l’épaisseur de la couche de neige semble être un impact négatif sur la taille des portées de la Marmotte des Alpes (Marmota marmota). Vingt années d’étude dans les Alpes ont montré que le changement climatique avait un effet sur le succès reproducteur des femelles. L’épaisseur de la couverture neigeuse est corrélée à la diminution de la taille des portées. La population pyrénéenne de marmottes pourrait montrer la même réponse. Les premiers effets du réchauffement pourraient être plus mitigés avec des gains et des pertes d’habitats locaux liés à un effet d’équilibre entre le désavantage de conditions plus chaudes en hiver (dépense d’énergie plus importante en hibernation) et l’avantage de pourvoir profiter d’une végétation fournie en sortie d’hibernation. Les premiers effets du réchauffement seraient de 11% à 46.7% de pertes d’habitat tous scénarios confondus à l’horizon 2100. Les effets à l’horizon lointain sont les plus négatifs pour les scénarios RCP 4.5 avec une perte de 19% en 2100 et RCP 8.5 avec une perte de 46.7% en 2100. L’influence de paramètres locaux sur 15 familles suivies depuis cinq ans dans la vallée Ossau montrent des variations interannuelles importantes dans le succès de la reproduction des marmottes avec trois années 2018, 2020 et 2021 où peu de marmottons ont été observés. Pour les deux sites les plus hauts en altitude, une baisse importante du nombre d’individus est constatée.
L’évolution des débits des torrents avec l’augmentation des crues printanières sous l’effet du changement climatique influencerait fortement la réussite de la reproduction de la Grenouille des Pyrénées (Rana pyrenaica), espèce endémique de l’ouest des Pyrénées, entraînant la mortalité accrue des têtards. En raison des faibles capacités de déplacement de l’espèce et du faible nombre de sites de présence, les différentes populations sont probablement déconnectées et isolées les unes des autres. Le changement climatique risquerait ainsi d’entraîner à moyen terme la disparition d’une ou plusieurs populations de Rana pyrenaica. Les projections indiquent une perte d’habitat en 2100 de -95% pour le scénario les plus pessimiste. Les premières analyses exploratoires montrent que les facteurs corrélés négativement à l’abondance des têtards sont liés aux printemps et hivers chauds et aux crues printanières. Les têtards sont probablement résistants aux crues tardives, mais sensibles aux crues de début de saison. Le constat semble inquiétant dans le secteur de la forêt d’Iraty. La reproduction est en forte baisse sur les sites historiques de Larrau (pas de reproduction depuis 2018) et de Lecumberry. Seul le site d’Estérençuby continue à maintenir des effectifs importants.
Le maintien des suivis de surveillance est indispensable pour suivre l’évolution et la vitesse de ces phénomènes observés. Ils devront être complétés par des observations de niveaux de l’épaisseur de couche de neige ainsi que de date de fonte des neiges, des températures de l’eau pour les torrents et l’évolution des crues printanières, l’influence de la végétation, etc. En plus des menaces du changement climatique, d’autre menaces ont été observées sur le terrain et pourront se cumuler : l’augmentation de la pression touristique en montagne liée au contexte actuel de pandémie du COVID-19, des impacts de la pêche avec l’introduction de truites dans les torrents à Grenouille des Pyrénées et l’évolution des pratiques pastorales sur certains secteurs avec le passage d’un pâturage ovins à bovins. Il est essentiel de travailler sur une action de sensibilisation des acteurs à ces enjeux mais également en concertation notamment avec le Parc National des Pyrénées afin de sanctuariser les zones les plus sensibles, des zones refuges pour les espèces. L’objectif est de maintenir et de restaurer un bon état de conservation des milieux pour que les espèces puissent s’adapter à leur rythme aux changements climatiques et limiter les pertes de populations. Les massifs montagneux seront les derniers refuges climatiques pour de nombreuses espèces à l’avenir. Une action de conservation interventionniste a été proposée avec la translocation du Lézard de Bonnal dans des secteurs potentiellement favorables à l’espèce mais qui ne sont pas colonisés actuellement à cause de barrières naturelles.
Vers une stratégie régionale de conservation de la biodiversité : identification de refuges climatiques
La biologie de la conservation est au cœur des grands défis sociaux et politiques planétaires comme le changement climatique. Son objectif est de permettre à la société de s’adapter pour prévenir et réduire les dommages écologiques. Pour cela, il faut générer et disposer d’informations scientifiques à partir desquelles des stratégies et des politiques de restauration efficaces peuvent être conçues, mises en œuvre.
Le programme « les sentinelles du climat » propose une démarche globale innovante combinant les enjeux de la biologie de la conservation et de l’écologie du changement climatique. L’étude est effectuée à une échelle régionale. L’objectif à terme est de développer un programme de surveillance décennal en Nouvelle-Aquitaine similaire à ce que font les climatologues utilisant des pas de temps de 30 ans. Ce programme pourrait servir de système d’alerte, prédisant quelles zones seront les plus à risque et quand elles le deviendront, ce qui pourrait aider à cibler les efforts de conservation et de gestion des espaces naturels.
Différentes méthodes ont été proposées pour identifier les secteurs vulnérables et les refuges climatiques. Les limites de la modélisation corrélative et les pistes d’amélioration sont multiples. L’intégration de variables biotiques liées aux capacités de dispersion des espèces est nécessaire pour affiner les potentialités de dispersion. La prise en compte des données floristiques et environnementales dans les régions limitrophes en Occitanie assurerait une meilleure modélisation de la niche écologique de certaines espèces et des projections plus fiables. Enfin les modélisations doivent également pouvoir prendre en compte l’occupation du sol et son évolution selon différentes trajectoires de société futures qui sont des notions complexes à aborder. Malgré ces limites de grandes tendances se dégagent, la diversité sera répartie de manière différente sur le territoire : plus faible en plaine avec l’expansion de peu d’espèces et plus forte dans le Plateau des Millevaches et le massif pyrénéens qui seront les derniers refuges des espèces face au changement climatique. Les notions de vulnérabilité et de refuge climatique doivent être plus finement définis : quels indices et types de calculs ? Quels secteurs prioritaires ? Secteurs stables, secteurs où la diversité chute ou inversement, secteurs de refuges pour les espèces actuellement patrimoniales ?
Pour mettre en application les propositions de mesures de conservation proposées dans le programme, certains questionnements techniques sont à redéfinir. Le changement climatique menace désormais l’existence et la stabilité des écosystèmes. Quel en est le « bon état » de conservation ? Comment définir « un bon état » lorsque les écosystèmes changent constamment au fil du temps ? Quelle intervention humaine associer ? Un programme spécifique pourrait aborder les questionnements : comment évaluer, caractériser de manière quantitative et globale l’évolution de l’état des milieux et de leurs résiliences ? Quelles méthodes, outils techniques de gestion choisir pour arriver à un état de conservation défini ? Les gestionnaires ont une grande expertise de terrain sur les pratiques de gestion et testent de nombreuses actions. L’idée serait de rassembler l’ensemble de ces connaissances à l’échelle de la région et de les valoriser pour rédiger un guide de préconisation de conservation des espèces sentinelles du climat.
Le statut de protection des espèces peut être repensé. Les espèces protégées sont très sensibles au changement climatique avec une tendance statistique à la disparition sur le territoire. Faut-il mettre les efforts de conservation sur ces espèces vouées à disparaître ? Les résultats montrent que des espèces communes sur certains habitats peuvent devenir aussi vulnérables au changement climatique comme Bel argus (Lysandra bellargus) en pelouse calcicole. Pour l’instant ces espèces ne sont pas forcément classées à enjeux et donc pas forcément prises en compte dans la gestion. L’enjeu défini intrinsèquement par la conservation est de préserver une diversité spécifique importante pour permettre aux écosystèmes naturels d’être résilients face aux diverses pressions. En pratique les questions se posent : Quelles continuités écologiques pour anticiper les changements ? Comment faire évoluer le statut des espèces et prendre en compte ces enjeux climatiques dans les pratiques de gestion ? Le statut de conservation des espèces étant relié au paramètre financement, ce dernier détermine de fait la gestion.
Pour permettre aux espèces de se déplacer et trouver des refuges climatiques, les stratégies de conservation et de restauration des continuités écologiques doivent prendre en compte anticiper les réponses projetées. Comment prendre en compte ces continuités écologiques climatiques dans les dispositifs existants de trames vertes et bleues ? Des outils peuvent être développés pour prendre en compte les effets projetés du changement climatique dans les stratégies de conservation et mis à jour en continu par rapport au développement de la connaissance en écologie du changement climatique. L’ensemble des actions et de la stratégie de conservation régionale peut être retravaillée de concert avec les gestionnaires, les décideurs, les législateurs mais également tous les acteurs de la conservation. Les pistes seraient de travailler sur le développement d’une méthodologie d’actions à l’échelle communale et de regroupement de communes (Établissement public de coopération intercommunale). Cette échelle permettrait un travail de concertation avec les élus locaux et les acteurs du territoire. La formation des élus aux connaissances clés sur la conservation permettrait l’appropriation de ces enjeux.