3. Indicateurs biologiques des écosystèmes secs
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3.1 Végétation des pelouses sèches calcicoles
Rédaction : Kévin Romeyer, Anthony Le Fouler
Contribution : Grégory Caze
Les pelouses sèches sur substrats calcaires hébergent une flore thermophile avec de nombreuses espèces patrimoniales au niveau régional (Rhaponticum coniferum, Dorycnium pentaphyllum, Argyrolobium zanonii, Stipa gallica) et national (Anthericum liliago, Sideritis hyssopifolia subsp. guillonii), souvent d’affinités méditerranéennes. Ces végétations vivaces sont adaptées à des sols maigres, pauvres en nutriments, en stations souvent pentues et supportant un déficit hydrique important en période estivale . Toutefois, sujettes à l’abandon de pratiques agricoles et à l’eutrophisation, elles ont fortement régressé ces dernières décennies au profit de communautés plus eutrophiles ou de fourrés denses, dont certaines de manières irréversibles . Dans le contexte du changement climatique, ces pelouses, encore bien exprimées, pourraient connaître une importante modification de leur cortège sur plusieurs aspects : l’apparition et la propagation d’espèces méditerranéennes typiques et le développement de cortèges d’espèces annuelles au profit des vivaces .
Pour identifier et mesurer les effets du changement climatique sur les communautés végétales de pelouses calcaires, l’objectif est de suivre dans le temps et dans l’espace :
1- leur structure (types biologiques dominants, hauteur, recouvrement) ;
2- leur composition floristique (diversité spécifique, cortèges indicateurs, fréquence relative des espèces, spectre chorologique).
Sélection des sites
En région Nouvelle-Aquitaine, les communautés végétales de pelouses sèches calcicoles sont relativement fréquentes et bien exprimées sur les coteaux calcaires ou marneux du Lot-et-Garonne, de la Dordogne et de la Charente. Elles deviennent plus rares et appauvries floristiquement vers le sud-ouest et le nord de la région où elles se cantonnent à des buttes exposées au sud. Néanmoins, si les patchs bien exprimés de pelouses sont nombreux et garantissent l’expression d’une flore intéressante, ils occupent rarement de grandes surfaces (supérieure à 0,5 ha) et sont généralement en mosaïque avec des végétations plus évoluées dynamiquement d’ourlets et de fourrés (obs. CBNSA).
Situation géographique des zones d’expression des communautés végétales des pelouses sèches calcicoles en Nouvelle-Aquitaine
L’identification des sites de suivi favorables s’appuie, d’une part sur la présence de la flore caractéristique des pelouses sèches calcicoles relevant du Xerobromion erecti (Braun-Blanquet & Moor 1938) Moravec 1967 ou du Mesobromion erecti Braun-Blanquet & Moor 1938 renseignées dans l’Observatoire de la Biodiversité Végétale de Nouvelle-Aquitaine (OBV atlas en ligne), et sur les connaissances et prospections de partenaires/gestionnaires d’autre part. L’étude de la bibliographie a permis de tenir compte de la variabilité et de la répartition des communautés végétales de pelouses .
Ensuite, l’utilisation d’indices d’état ont permis de sélectionner les habitats les plus favorables, c’est-à-dire dans un bon état de conservation. Ces indices sont les suivants :
– niveau faible de dérive trophique, basé sur la fréquence relative des espèces eutrophes au sein du tapis végétal (ex : Senecio vulgaris, Sonchus asper) ;
– fermeture limitée du milieu, basée sur la fréquence relative et le recouvrement d’espèces de stades dynamiques ultérieurs aux pelouses (ex : Brachypodium rupestre, Origanum vulgare, Juniperus communis) ;
– recouvrement de sol nu, basé sur le pourcentage de recouvrement du sol nu et la proportion entre plantes annuelles et plantes vivaces ;
– limitation de perturbations : eutrophisation, surpâturage, exploitation calcaire etc.
Enfin, pour la mise en place de suivis à long terme et l’isolement du facteur climatique, la dimension foncière et paysagère des sites est essentielle en plus de leur bon état de conservation. Ainsi, les sites sont distants d’au moins de 50 mètres de toutes activités anthropiques et bénéficient d’une gestion écologique constante.
Dans le cadre du schéma pluriannuel de suivi des habitats d’intérêts communautaires (HIC) mis en place par le CBN Sud-Atlantique sur son territoire d’agrément , les habitats de pelouses sèches font l’objet d’un suivi régulier pour l’évaluation de l’état de conservation à travers le réseau Natura 2000 (Le Fouler, 2013). L’existence préalable d’un tel réseau de sites de suivi des communautés végétales dans les ex-régions Aquitaine et Poitou-Charentes (Annexe 5), reposant sur des méthodes et paramètres compatibles (structure, composition floristique et recouvrement de chaque communauté) avec ceux exposés ici (Royer, 1982 ; Boullet & Gehu, 1984 ; Royer, 1984 ; Lamothe & Blanchard, 2005 ; Le Fouler, 2013 ; Abadie et al., 2014 ; Fy & Bissot, 2014), permet de mutualiser une partie des dispositifs mis en place et de bénéficier de données historiques sur ces communautés. En Aquitaine, 52 dispositifs de suivi ont ainsi été matérialisés en 2013 sur 27 sites différents , répartis essentiellement dans l’extrême est de l’ex-région (Dordogne et Lot-et-Garonne), correspondant aux zones d’expression optimales des pelouses (surfaces importantes et peu fragmentées, cortèges caractéristiques bien développés). En Poitou-Charentes, ce sont 212 dispositifs de suivi qui ont été matérialisés entre 2012 et 2014, surtout en Charente .
La sélection de nouveaux sites avec une répartition représentative des coteaux à l’échelle de la région Nouvelle-Aquitaine est essentielle pour l’étude de cet habitat en lien avec le changement climatique afin de tenir compte de la variabilité des communautés. Ainsi, la mise en place de suivis hors de la zone d’expression optimale s’effectue, d’une part selon un gradient de pluviosité (Données AURELHY par Météo France) et donc d’appauvrissement en espèces de pelouses très sèches, soit dans des secteurs plus à l’ouest et au sud (Gironde et Pyrénées-Atlantiques) ; et d’autre part selon un gradient thermique et donc d’appauvrissement en espèces thermophiles dans des secteurs plus au nord (Deux-Sèvres, Vienne). Cela devrait permettre de détecter des variations de cortèges (ex : enrichissement en espèces xéro-thermophiles) dans les différentes zones suivies.
En 2017, la sélection définitive des sites et les suivis ont été réalisés uniquement à l’échelle de l’Aquitaine. Au total, 18 sites comportent des dispositifs de suivi des communautés végétales. Ils ont tous fait l’objet d’un suivi protocolé ainsi que d’un inventaire de la flore et des végétations en 2017, et en 2013 pour certains d’entre eux . Ces suivis de communautés végétales sont réalisés en parallèle de suivis sur les cortèges de lépidoptères de pelouses calcicoles.
Situation géographique des sites de suivi des pelouses sèches calcicoles
Définition et positionnement des points d'échantillonnage
Le suivi des communautés végétales de pelouses sèches calcicoles en lien avec les évolutions climatiques reprend les principes d’échantillonnage élaborés pour l’évaluation de l’état de conservation des habitats d’intérêts communautaires (HIC) pour ces mêmes milieux . Il s’agit d’un système d’échelles emboîtées permettant des analyses complémentaires et une vision représentative des sites du point de vue floristique, structurale et dynamique :
– échelle du coteau entier, soit plusieurs hectares ;
– échelle du complexe pelousaire par un quadrat paysager de 25 m de côté ;
– échelle de la communauté végétale par un quadrat de fréquence de 4 m de côté.
Les données à l’échelle du coteau peuvent être obtenues via des photographies aériennes (couleurs normales et infra-rouge) et ne nécessitent pas d’instrumentalisation sur le site. A moyen terme, des méthodes numériques de segmentation des photographies aériennes pourraient être exploitées (Colloque CarHab, 2017, comm. orale). De même, l’utilisation de drones fournissant des images haute définition pour des sites d’une surface restreinte, comme c’est le cas ici, forme une piste intéressante pour la réalisation de micro-cartographies des végétations.
Les données concernant le complexe pelousaire sont obtenues à l’aide d’un quadrat paysager de 25 m de côté. Après des tests sur le terrain , cette surface de 625 m² semble être le meilleur compromis pour apprécier la mosaïque des communautés végétales sans pour autant être trop grande et empêcher l’observateur d’avoir une vision complète de la zone.
Le positionnement du quadrat paysager est défini après visite du coteau et identification des zones où l’habitat de pelouses sèches est bien exprimé ; il est placé dans une de ces zones, en veillant à avoir également un aperçu des végétations en dynamique et en contact avec les pelouses. Les situations atypiques sont à éviter, l’objectif étant d’être représentatif de l’état du complexe pelousaire sur un site. Le géoréférencement du quadrat est déterminé sur le terrain avec un GPS submétrique par les coordonnées de ses 4 sommets. Le temps de la lecture, il est matérialisé par des piquets temporaires aux 4 sommets et reliés par une rubalise ou un décamètre.
Les données concernant la communauté végétale sont obtenues à l’aide d’un quadrat de fréquence permanent de 4 m de côté à l’intérieur du quadrat paysager. L’aire minimale pour l’étude des pelouses sèches étant estimée autour de 20 m² , la surface de 16 m² de ce quadrat apparaît réduite mais compensée par l’utilisation complémentaire du quadrat paysager. D’après des travaux universitaires , la lecture du quadrat de fréquence s’effectue par l’intermédiaire de 16 quadrats élémentaires de 25 cm de côté.
Le positionnement du quadrat de fréquence à l’intérieur du quadrat paysager correspond généralement au centroïde du quadrat paysager mais peut être adapté à une zone plus adéquate où la communauté de pelouse est bien exprimée.
Schéma de positionnement théorique des quadrats de pelouses sèches
L’orientation du quadrat se fait dans la direction de plus grande pente, soit vers le nord ou vers le haut du coteau. Son géoréférencement est déterminé sur le terrain par les coordonnées de son centroïde. Dans l’objectif d’un suivi à moyen/long terme (plusieurs décennies) et afin d’assurer la relocalisation précise et la pérennité du dispositif, le quadrat de fréquence est délimité à ses sommets par 4 tiges métalliques (acier ou inox) enterrées et affleurant à la surface du sol. Un détecteur de champs magnétiques est nécessaire pour retrouver la position des tiges. Le temps de la lecture, le quadrat est matérialisé par des piquets temporaires aux 4 sommets et reliés par une corde ou rubalise.
La durée de mise en place et de relocalisation des quadrats sur un coteau est estimée à environ 1h. La durée de lecture des 2 types de quadrat n’est pas limitée et peut être estimée autour de 2 à 3h.
Méthodes de relevés et détermination des espèces et des communautés végétales
Le protocole de suivi des pelouses sèches dépend de l’échelle spatiale considérée.
A l’échelle du coteau, le but est de suivre l’évolution de la surface occupée par les ligneux, témoin directe de la régression/progression des pelouses et plus généralement des habitats ouverts. Pour cela, on réalise une analyse diachronique du recouvrement des ligneux sur la base des photographies aériennes en couleurs et en infrarouge (BD Ortho et IRC de l’IGN) prises à des dates plus ou moins éloignées dans le temps (2 ans minimum).
A l’échelle du quadrat paysager, le but est de suivre l’évolution du complexe pelousaire en termes de structure et de dynamique de végétation. Pour mener ce travail, la phytosociologie sigmatiste est retenue car elle est basée sur une démarche rigoureuse et éprouvée, dotée d’un référentiel structuré et régulièrement mis à jour aux échelles internationale, nationale et régionale . Ainsi, un relevé phytosociologique est réalisé au sein de chaque communauté végétale (pelouse annuelle, pelouse vivace, ourlet, fourré) présente dans le quadrat paysager. Ces relevés sont rattachés, directement ou a posteriori, à un syntaxon existant ou à définir dans le référentiel phytosociologique.
D’autre part, la phytosociologie paysagère ou symphytosociologie est utilisée afin de proportionner les différentes communautés au sein du quadrat. Ici, seule l’homogénéité des conditions écologiques est recherchée (pente, orientation, substrat) pour réaliser un relevé . La liste exhaustive des groupements végétaux présents est notée, auxquels sont associés un coefficient de recouvrement ainsi qu’un indice d’agrégation (isolé, plus ou moins fragmenté, étendu). Le relevé symphytosociologique, ou synrelevé, permet de rendre compte de l’organisation spatiale des groupements et est accompagné d’un croquis. Ces relevés peuvent être rattachés, directement ou a posteriori, à une série dynamique de végétation existante ou à définir .
Schéma d’organisation spatiale des communautés au sein du quadrat paysager
En plus, des photos des communautés inventoriées sont réalisées pour conserver une vision physionomique de celles-ci et aider dans l’interprétation des données.
A l’échelle du quadrat de fréquence, le but est de suivre l’évolution de la structure et de la composition de la communauté de pelouse à un niveau fin de précision. Pour cela, ce quadrat est subdivisé en 16 quadrats élémentaires de 25cm de côté.
Schéma d’organisation théorique des quadrats élémentaires au sein du quadrat de fréquence
Un relevé exhaustif de la flore est réalisé en présence/absence au sein de chacun des quadrats élémentaires avec notation de la hauteur moyenne et du recouvrement des différentes strates présentes. En plus, un relevé complémentaire est réalisé, également en présence/absence, à l’échelle du quadrat de fréquence pour noter les espèces non contactées dans les 16 quadrats élémentaires. Cette méthode présente l’avantage de pouvoir s’abstenir d’une estimation des coefficients de recouvrement, une variable sujette au biais d’interprétation des données engendré par la diversité des observateurs et empêchant la détection de changements subtils dans la composition floristique du tapis végétal étudié . Afin de faciliter la relocalisation des dispositifs, des photos avec prises de vue depuis les 4 sommets et les 4 côtés du quadrat paysager et surtout du quadrat de fréquence, pendant que les dispositifs de lecture sont en place, doivent être réalisées
La détermination des espèces végétales non-identifiées peut s’effectuer directement sur le terrain à l’aide d’une flore et d’une loupe (x10 minimum). Dans le cas de critères délicats à appréhender in situ, l’identification se fera ultérieurement en laboratoire, avec un matériel adéquat (loupe binoculaire, microscope…), sur des échantillons prélevés hors de la zone d’étude. Concernant les espèces rares ou protégées, la détermination devra se faire autant que possible sur photos ou in situ sans prélèvement.
Pour l’étude des végétations calcicoles, le champ d’investigation taxonomique concerne uniquement les spermatophytes et ptéridophytes, excluant donc les bryophytes et lichens trop complexes à appréhender. Le référentiel taxonomique suivi est la version la plus récente de TaxRef (actuellement version 9, ).
Les flores utilisées sont diverses :
– Flora Gallica ,
– Flore de Dordogne ,
– Flore du Pays Basque et des régions limitrophes ,
– Flore de France méditerranéenne continentale ,
– Flore descriptive et illustrée de la France, de la Corse et des contrées limitrophes (Tomes 1 à 3) .
Le référentiel syntaxonomique des végétations utilisé est celui du CBNSA, version du 19/09/2017 .
Afin de maintenir de la clarté dans la lecture, les autorités des syntaxons cités ne seront notées que lors de la première mention (ex : Xerobromion erecti (Braun-Blanquet & Moor 1938) Moravec 1967 puis Xerobromion erecti).
Pour la mise en place et la lecture d’une placette de suivi de pelouses, le matériel requis est le suivant :
– tiges en métal (inox ou acier) x 4 par quadrat ;
– appareil GPS (GPS submétrique si possible) ;
– piquets fins en bois (8 minimum) ;
– corde tressée ou rubalise (120 m minimum) ;
– détecteur de champs magnétiques ;
– marteau ;
– quadrats en carton, plastique ou bois (25 cm de côté) ;
– décamètre (50 m) ;
– appareil photo.
Photo du quadrat élémentaire utilisé pour les pelouses sèches (25 cm de côté)
Période optimale de suivi
Les pelouses sèches d’Aquitaine connaissent leur optimum phénologique entre mi-mai et fin juin ; c’est-à-dire la période durant laquelle la majorité du cortège floristique est en floraison. Afin de noter et pouvoir identifier le maximum d’espèces, les inventaires et suivis doivent s’effectuer durant cette période comme l’atteste diverses études .
Nombre de campagnes de relevés
Une seule campagne de relevés est réalisée pour chaque année de suivi. En effet, la quasi-totalité du cortège floristique étant observable dans le cas d’une lecture pendant la période phénologique optimale, la réalisation de plusieurs campagnes n’offre qu’un intérêt limité.
Les pelouses sèches pouvant être un habitat relativement dynamique si les conditions de gestion changent ou en cas d’aléa climatique extrême telles qu’une forte sécheresse ou canicule , le délai entre chaque campagne de suivis est fixé à 2 ans, soit en 2017, 2019 et 2021. En fonction des premières analyses et retours d’expérience, ce délai pourra être rehaussé. En effet, les impacts du changement climatique sur cet habitat intervenant à une échelle de temps bien plus large, des suivis trop rapprochés ont peu d’intérêt.
Fiche de relevés
Pour les suivis de pelouses sèches calcicoles, 2 types de fiches sont utilisés sur le terrain :
– fiche de renseignement par quadrat de fréquence (liste d’espèces, stratification) ;
– fiche d’évaluation pour quadrat paysager (inventaire symphytosociologique, inventaire floristique complémentaire, altérations, perspectives).
Discussion et perspectives de suivi
Les protocoles énoncés semblent assez précis et adaptés pour répondre à la problématique de l’évolution des communautés par rapport au changement climatique car ils intègrent plusieurs échelles spatiales et temporelles permettant la détection de variations floristiques et structurales au sein de ces communautés. Toutefois, quelques questions persistent concernant le temps et l’effort d’échantillonnage exigés avec ces méthodes, notamment à l’échelle du quadrat de fréquence. Actuellement sur chacun des sites suivis, un unique dispositif de quadrat de fréquence est mis en place et relu à travers 16 sous-quadrats élémentaires. Les réflexions actuelles tendent à faire évoluer le protocole vers un échantillonnage plus conséquent des sites par 2 ou 3 quadrats de fréquence qui seraient relus par 9 sous-quadrats élémentaires au lieu de 16. Cela permettrait de répartir le temps de lecture sur une plus grande surface et ainsi nuancer les résultats obtenus à partir d’un unique quadrat grâce à des répliquas . Cette option a été choisie pour le suivi des pelouses sèches en Poitou-Charentes . Des comparaisons statistiques complémentaires orienteront le choix de la méthode finale.
D’autre part, des réflexions se portent sur l’utilisation d’images en haute définition acquises par drone à l’échelle des sites. Cela serait notamment intéressant à exploiter dans le cas de microcartographies des végétations et permettrait d’améliorer la qualité d’analyse à l’échelle du quadrat paysager.
A l’échelle de l’ex-Aquitaine, le travail de l’année 2018 sur les habitats de pelouses calcicoles se concentrera sur l’analyse descriptive et typologique des données récoltées en 2017 (spectre chorologique, spectre des types biologiques, diagnostic phytoécologique). Ces éléments apporteront une meilleure connaissance des conditions stationnelles sur chaque site et serviront de support d’analyse pour la seconde lecture des dispositifs prévue en 2019. Une mise en place de nouveaux dispositifs de suivi sur quelques sites complémentaires pourra également être réalisée en 2018.
En ce qui concerne les ex-régions Limousin et Poitou-Charentes, l’année 2018 sera consacrée à la sélection des sites à suivre. La mise en place et la première lecture de dispositifs avec un ajustement des protocoles pourront être effectuées sur quelques-uns des sites identifiés.
3.2 Lépidoptères et ascalaphes des pelouses calcicoles
Rédaction : Fanny Mallard, Sandy Bulté, Pierre-Yves Gourvil
Contribution : David Soulet
Les lépidoptères sont reconnus comme l’un des groupes indicateurs du changement climatique. Ils sont fortement liés aux plantes hôtes et nectarifères de l’habitat. Ils sont poïkilothermes, c’est-à-dire qu’ils sont dépendants de la température du milieu et de la température locale de leur habitat pour leur activité. En France et à travers la Nouvelle-Aquitaine, ils font l’objet de programmes de surveillance approfondie .
Les pelouses calcicoles ont été identifiées comme milieu sec potentiellement impacté par le changement climatique. Le cortège floristique de ces pelouses pourrait connaitre d’importantes modifications (cf. 3.1).
Ces changements sont susceptibles d’impacter les communautés de lépidoptères et d’ascalaphes associées à ces milieux, dont certaines espèces dépendent de plantes spécifiques appelées plantes hôtes spécifiques à ces milieux. De plus, l’optimum de développement des lépidoptères et des ascalaphes, comme pour les autres insectes, risque d’être influencé par le réchauffement climatique provoquant des évolutions spatio-temporelles des cortèges. Ainsi, plusieurs hypothèses peuvent être émises quant à leur réponse face au changement climatique. Certaines espèces pourraient soit être sujettes à des disparitions locales, soit capables de s’adapter au nouveau contexte environnemental, soit de déplacer leur aire de répartition pour suivre les conditions qui leur conviennent. Des espèces d’affinité méditerranéenne, telle que le Citron de Provence (Gonepteryx cleopatra) pourraient apparaitre ou bien se développer davantage.
Ainsi, l’objectif de cette étude est de déterminer les effets spatio-temporels du changement climatique sur les populations de lépidoptères et d’ascalaphes des pelouses calcicoles de la Nouvelle-Aquitaine et d’identifier, par la suite, différents scénarios de répartition des espèces et de structure des assemblages.
Sélection des sites
Une hypothèse de travail posée pour la sélection des sites d’étude est de s’appuyer sur un état de conservation des sites limitant autant que possible l’influence de facteurs anthropiques autres qui pourraient impacter la biodiversité et ne permettraient plus de dissocier l’effet du changement climatique de ces autres facteurs. Cet état de conservation est qualifié de « bon » dans cette étude. Ainsi, les réponses de la biodiversité observées dans un site devraient être liées principalement aux effets du changement climatique.
D’après la Directive Habitat (DIRECTIVE 92/43/CEE DU CONSEIL du 21 mai 1992), l’état de conservation d’un habitat naturel est défini par l’évaluation des effets de l’ensemble des pressions agissant sur cet habitat et sur les espèces typiques qu’il abrite. Ces impacts peuvent affecter à long terme sa répartition naturelle, sa structure et ses fonctions, ainsi que la survie de ses espèces typiques .
Le milieu est considéré comme favorable par plusieurs critères. L’état de conservation des espèces végétales typiques de l’habitat doit être bon. Elles doivent être le moins possible soumises aux effets de l’ensemble des pressions qui, agissant sur les espèces, peuvent affecter à long terme la répartition et l’importance de leurs populations sur le territoire . Une pré-sélection de sites par le CBNSA a permis d’identifier 31 sites potentiels, dits de bon état de conservation. L’évaluation de l’état de conservation des pelouses sèches du réseau Natura 2000 s’appuie sur les suivis floristiques réguliers du schéma pluriannuel de suivi des habitats d’intérêts communautaires (HIC) de la région Aquitaine mis en place par le CBN Sud-Atlantique .
L’habitat doit également avoir une aire de répartition naturelle ainsi que des superficies stables ou en extension . La gestion écologique constante de l’habitat permet d’assurer dans le temps une pérennité à la naturalité et de lutter contre la fermeture du milieu. La maitrise foncière assure la pérennité dans le temps de la naturalité du site. Les sites publics sont privilégiés, voire les sites privés avec convention auprès de structures publiques par exemple le CEN Aquitaine.
La structure et les fonctions spécifiques nécessaires au maintien à long terme de l’habitat existent et sont susceptibles de perdurer dans un avenir prévisible . Les sites privilégiés sont connectés potentiellement à d’autres pelouses calcicoles permettant d’assurer des échanges entre les habitats, offrant aux espèces des conditions favorables à leur déplacement et à l’accomplissement de leur cycle de vie. Une surface importante permet de limiter l’influence d’autres facteurs anthropiques. La surface définie pour les pelouses calcicoles doit être en pratique suffisante pour positionner un transect de 100 m dans l’habitat. Les sites sont également distants d’au moins 50 m des activités anthropiques qui pourraient fragmenter les populations de lépidoptères .
Afin de pouvoir comparer les habitats de même nature, il est nécessaire d’écarter les causes de variations qui déterminent des conditions écologiques particulières . Les sites choisis sont exposés sud et composés d’une végétation homogène d’un seul tenant afin de minimiser le nombre de paramètres climatiques et édaphiques. Ces critères permettent d’écarter les causes de variations qui déterminent des conditions écologiques particulières .
En terme pratique, les sites ont un accès facile permettant la réalisation de campagnes de relevés standardisées. Les coteaux accessibles par des terrains privés sont écartés.
Les sites sélectionnés ont une répartition spatialement équilibrée à travers la région Aquitaine. La répartition spatiale de l’effort d’échantillonnage permettra de mettre en évidence des variations de réponse du cortège étudié à différentes latitudes. La littérature scientifique indique que, parmi la faune, les espèces de lépidoptères sont celles qui ont répondu le plus aux changements climatiques, notamment en modifiant leurs aires de répartition vers le nord .
Situation géographique des pelouses calcicoles prospectées pour les suivis lépidoptères et ascalaphes
Sur 31 sites de pelouse calcicole prospectés en 2016, 20 sites ont été retenus pour répondre aux critères énoncés précédemment, dont 16 sites ont été suivis en 2016. En 2017, deux sites ont fait l’objet d’un remplacement. Le premier site correspond au site « Vallée de l’Isle », situé en Dordogne, pour lequel le propriétaire a refusé l’accès à sa parcelle pour des raisons personnelles. Ce site a été remplacé par le site « Coteau de Milauvieux » en Dordogne. Le deuxième site correspond au site « Ruisseau des Gascons » situé dans le Lot-et-Garonne et pour lequel l’un des propriétaires a exprimé catégoriquement son refus d’accès à ses parcelles par peur de contraintes. Ce site a été remplacé par le site « coteau de Grousset » situé à quelques kilomètres du site initial.
Situation géographique des sites validés pour les suivis de lépidoptères et d’ascalaphes de pelouses calcicoles
Définition et positionnement des points d'échantillonnage
La méthodologie de comptage des lépidoptères est basée sur le programme national du suivi temporel des Rhopalocères de France (STERF) du programme d’observatoires de la biodiversité Vigie-Nature .
Pour pouvoir comparer les comptages entre transects, il est souhaitable que l’effort de comptage soit standardisé. Les transects devront donc être parcourus en un temps identique (10 ± 1 min.). Cette contrainte de temps détermine la longueur de chaque transect, les plus courts seront liés à un milieu riche . La longueur du transect définie en pelouse calcicole est de 100 m. Cette longueur est déterminée suivant la vitesse de déplacement du comptage des observateurs des premiers tests de comptage 2016 dans un habitat très diversifié et la longueur minimale disponible d’un type d’habitat homogène.
Selon la surface d’habitat homogène, un à huit transects ont été définis sur chaque site. Les transects, situés en pente, sont de forme linéaire adoptant la forme de l’habitat. Ils sont positionnés de façon à ce qu’ils suivent au mieux la courbe de niveau afin de faciliter le cheminement de l’observateur.
Figure 9 : Un exemple de situation des transects en pelouse calcicole dans le cadre du suivi des espèces lépidoptères sur photographie aérienne (à gauche) et sur carte topographique (à droite)
Les transects sont orientés sud et sont espacés d’un minimum de 50 m afin d’éviter les doubles comptages, distance de référence d’après le protocole de suivi des lépidoptères des Réserves Naturelles de France . La distance entre les transects et les limites de l’habitat est de 30 à 50 m. Cette distance permet d’éviter l’effet lisière, zone de transition entre différents habitats et où plusieurs communautés animales se côtoient .
Les transects sont matérialisés par des points GPS et ont également été cartographiés. La précision de réalisation du transect se situe entre 3 à 5 m (précision du GPS) selon les conditions météorologiques. Afin de ne pas perturber le cortège de lépidoptères sur le transect, le début est déterminé à l’entrée du site.
Méthode de relevés et détermination des espèces
Pour chacun des transects, tous les rhopalocères (ainsi que les zygènes et les ascalaphes) identifiables à distance sont comptés par un observateur. La limite postérieure d’une boîte virtuelle de 5 m de côté avance avec l’observateur dans le but de standardiser la distance à laquelle les rhopalocères sont comptés. Les comptages dans la boîte sont standardisés et donc comparables au cours du temps . Le protocole d’observation est passif, c’est-à-dire que la végétation n’est pas remuée pour éviter l’effet observateur influençant l’envol d’individus non visibles. La vitesse de déplacement est fixe et de moins de 2 km/h.
Le comptage est effectué au vol avec capture au filet pour les espèces non identifiables. Une liste d’espèces à capturer permet de standardiser la capture des spécimens entre les différents observateurs. Les espèces à détermination délicate concernent 26 espèces d’après une sélection basée sur les critères de validation des données du MNHN et les espèces de lépidoptères présentes en Aquitaine :
Liste des 26 espèces à détermination délicate, nécessitant capture avec ou sans prélèvement
Pour les espèces à détermination rapide (1 à 2 min maximum), le temps du comptage est suspendu. La mise en flacon est effectuée seulement pour les individus non identifiables à l’espèce en moins de 2 min. Leur identification est réalisée à la fin du transect. Dans tous les cas, les individus sont ensuite relâchés sur place pour éviter l’impact de l’échantillonnage sur le site. Les espèces non déterminables par observation sont prélevées et ramenées en laboratoire pour examiner les pièces génitales (genitalia) afin de déterminer précisément l’espèce. Le protocole d’analyse des genitalia est détaillé p118. Le prélèvement est d’un individu par groupe d’espèce à détermination délicate par transect. La technique de morpho-espèce est utilisée afin de limiter au maximum le prélèvement d’individus. Le terme morpho-espèce est un substitut de l’estimation de l’espèce . Si durant les premières années de suivis, l’analyse des genitalia a permis de recenser qu’une seule espèce d’un complexe (par exemple, détermination de L. sinapsis mais aucun L. reali), les prélèvements pourront alors être arrêtés et il sera considéré l’existence d’une seule espèce sur le site. Le tableau suivant précise l’attitude à adopter (capture seule, prélèvement) selon le groupe d’espèces.
Dans le cas d’individus isolés d’espèces non identifiées, l’observateur note l’individu en « indéterminé ». Ce cas sera limité au maximum.
Tableau 2 : Liste des groupes d’espèces à capturer ou à prélever
Conditions météorologiques requises
Les suivis sont effectués entre 10h et 17h dans les conditions météorologiques suivantes : présence d’une couverture nuageuse d’au maximum 75% et sans pluie ; vent inférieur à 6 sur l’échelle de Beaufort (39 à 49 km/h) ; température d’au moins 13°C pour un temps ensoleillé ou d’au moins 17°C pour un temps nuageux. Les suivis sont réalisés jusqu’à une température maximale de 35°C à l’ombre.
Nombre de campagne de relevés
4 passages par site seront effectués par an et répartis entre mai et août, soit 1 passage par mois. Cette fréquence correspond à l’échantillonnage minimum recommandé par le STERF . Les suivis sont espacés d’au moins 15 jours et sont réalisés les mêmes semaines, d’une année sur l’autre, jusqu’en 2021, préférentiellement durant les deux premières semaines de chaque mois. Le tableau ci-dessous indique les dates de suivis pour les années 2016 et 2017.
Dates des suivis 2016 et 2017 du cortège de lépidoptères et d’ascalaphes en pelouse calcicole
Méthode d'examen des genitalia
Afin de déterminer certaines espèces, il est nécessaire de prélever les individus pour examiner les pièces génitales ou genitalia. Le prélèvement peut s’effectuer soit dans un bocal à cyanure ce qui permet d’éviter d’abîmer les ailes, soit dans un bocal contenant du coton imbibé de dissolvant pour les ongles mais cette technique présente le risque d’abîmer les ailes et le corps, plus rigide, devient plus fragile à la manipulation. Les genitalia mâles sont, dans la grande majorité des cas, plus faciles à déterminer que les genitalia femelles, c’est pourquoi il faut privilégier le prélèvement de mâles.
L’examen des genitalia consiste à extraire les pièces génitales de l’abdomen, à les examiner avec une loupe binoculaire afin de déterminer l’espèce. Pour extraire les genitalia, il faut tout d’abord détacher, à l’aide d’une lame de dissection, l’abdomen de l’imago. Pour les femelles, il ne faut pas hésiter à détacher l’ensemble de l’abdomen. Celui-ci est ensuite entièrement plongé dans de la lessive de soude. Il est également possible de rajouter du mercurochrome pour colorer le genitalia afin de mieux le repérer. La soude dans laquelle est plongé l’abdomen est ensuite chauffée dans un flacon bouché pendant 1h ou plus sans porter à ébullition, ou une autre possibilité est de laisser tremper l’abdomen dans la soude pendant minimum 3 jours. Une dernière étape consiste à extraire le genitalia et à le nettoyer des restes de graisse. Pour les mâles, à l’aide d’une pince de dissection, il suffit d’attraper les valves et de tirer vers l’extérieur. Pour les femelles, il faut déchirer la peau sur le côté afin de dégager le genitalia. Il est à noter que pour les mâles de Pyrgus et de Melitaea, qui se déterminent via les valves, l’abdomen n’a pas obligatoirement besoin d’être plongé dans la soude, mais il est possible de faire ressortir un peu les valves pour les observer à la loupe binoculaire en privilégiant les individus frais ou humidifiés. A l’aide de guide d’identification des genitalia, l’espèce peut enfin être identifiée.
Liste des groupes d’espèces à prélever
Fiche de relevés
Le couple site-observateur sera indissociable, c’est-à-dire que le même niveau professionnel d’observation est maintenu jusqu’en 2021. Les relevés sont réalisés par des professionnels expérimentés.
Pour les suivis lépidoptères, chaque observateur note pour chaque transect les heures de comptage de début et fin du transect avec la mention du temps de pause, le nombre d’individus par espèce et les conditions météorologiques de début du transect. La température est mesurée à l’aide d’un thermomètre, l’humidité relative de l’air à l’aide d’un hygromètre, la vitesse du vent est évaluée à l’aide de l’échelle de Beaufort et la couverture nuageuse est estimée en pourcentage de recouvrement.
Fiche de relevé du suivi lépidoptères
3.3 Communauté de micromammifères
Rédaction : Thomas Ruys
En 2016, deux espèces de « micromammifères » avaient été choisies comme indicateurs du changement climatique : Le Pachyure étrusque (Suncus etruscus) et la Souris à queue courte (Mus spretus). Ces deux espèces fréquentent plutôt des habitats d’affinité méditerranéenne : terrains chauds, herbeux, rocailleux, haies, lisières de pinèdes, murs de pierres sèches, lits asséchés des rivières pour la première ; végétations buissonnantes et herbacées des terrains cultivés, jardins, vergers, garrigues et forêts claires pour la seconde. Un changement climatique, allant vers un scénario de réchauffement, comme le souligne la synthèse de Le Treut et al. : « l’Aquitaine est une des régions de France où le réchauffement risque d’être le plus fort. », devrait donc contribuer à favoriser l’expansion ces deux espèces. Or, leur détection par l’analyse de pelotes de réjection ou par la capture s’est révélée très difficile et aléatoire. Le conseil scientifique indique, pour le bilan 2016, que la méthode de capture CMR n’apparait pas pertinente pour le suivi au vu du faible nombre d’individus. De plus, l’indice d’abondance serait fortement lié à l’effort de capture. Le conseil scientifique valide donc un protocole basé sur la récolte de pelotes de réjection de l’Effraie des clochers mais en prenant en compte cette fois-ci les communautés de « micromammifères » sur l’ensemble de la Nouvelle-Aquitaine. Les petits mammifères répondent plus vite aux changements globaux (y compris aux changements climatiques) car ils s’adaptent mieux en comparaison aux grands mammifères .
L’idée est donc d’observer et de comparer l’évolution des aires de répartition des espèces et/ou des communautés d’espèces, en fonction de leurs optimums écologiques. En effet, si les conditions environnementales évoluent vers des périodes plus sèches (« réchauffement global »), les espèces ayant des optimums écologiques dans ce sens devraient mieux s’adapter et donc accroître, par exemple, leur aire de répartition. En Nouvelle-Aquitaine, ce phénomène pourrait se traduire par un gradient sud-nord avec une remontée des espèces de milieux « chauds » vers le nord.
L’objectif est donc de raisonner sur des transects nord-sud en région Nouvelle-Aquitaine en échantillonnant régulièrement à des latitudes différentes des sites à Effraie des clochers (Tyto alba) afin d’y récolter et d’analyser des pelotes de réjection. En effet, l’Effraie des clochers est un rapace nocturne, largement réparti en France (en-dessous de 800 m d’altitude), qui est un prédateur généraliste de micromammifères. Parmi les rapaces, cette chouette est la plus opportuniste, tant dans ses habitats de chasse que dans ses proies en fonction toutefois de leur fréquence relative et de leur abondance annuelle. La méthode d’analyse des pelotes de réjection reste la moins intrusive et offre une bonne représentativité de la diversité de ces petits mammifères au sein d’un territoire de chasse de l’Effraie des clochers .
Sélection des sites
Pour essayer de mettre en évidence ce gradient et les possibles glissements d’aires de répartition d’espèces, un échantillonnage par niveau a été mis en place en Nouvelle-Aquitaine, principalement basé sur les gradients latitude (nord-sud) et longitude (est-ouest).
Des transects virtuels ont été définis en fonction de la surface de l’aire globale d’étude, à savoir la région Nouvelle-Aquitaine : quatre transects (T) (trois de 300 km et un de 150km de long) dans le sens nord-sud. Chaque transect à une largeur de 20 km (2 mailles de 10 kmx10 km). Pour chaque transect, 7 niveaux (N) de latitudes sont définis environ tous les 50 km, 3 niveaux pour celui de 150 km, ce qui fait un total de 21 points d’analyse (T1N1 à T4N3). Un niveau pour un transect correspond à deux mailles, donc à une zone de 20×10 km.
Les points d’analyse sont in fine localisés comme suit :
Répartition des mailles pour la prospection des pelotes de réjection en Nouvelle-Aquitaine
L’objectif est de ramasser 100 à 120 pelotes/niveau (soit 50 à 60 pelotes/maille de 10×10 km) afin d’avoir une bonne représentativité en proies. Un pré-travail cartographique est réalisé afin de repérer les secteurs de prospection les plus favorables à la présence de l’Effraie des clochers (ruines, églises, bâtiments isolés, etc.). Ce pré-travail cartographique est complété par la consultation des données existantes dans différentes bases de données (Cistude Nature et Faune-Aquitaine).
Une fois les secteurs préalablement définis sur cartes, ils sont prospectés. Si les secteurs ne sont pas favorables (grillage sur les églises ne permettant pas la présence de chouette, pas de bâtiments abandonnés, etc.), les prospections se poursuivent par des parcours dans la maille de 10×10 km afin de repérer des éléments remarquables (ruines, églises, bâtiments isolés, etc.) dans lesquels l’Effraie des clochers pourrait séjourner.
Au cours d’une prospection dans une maille, si un site positif est découvert avec suffisamment de pelotes, ce site sera retenu pour être à nouveau prospecté les années suivantes. Le résultat des prospections est le suivant :
Liste et type de sites de récolte de pelotes de réjection en 2017
Suite aux prospections de l’année 2017, les sites retenus pour l’étude sont les suivants :
Situation géographique des sites de suivis micrommamifères
Définition et positionnement des points d'échantillonnage
Un site correspond à un point d’échantillonnage de récoltes de pelotes de réjection d’Effraie des clochers dans des ruines, églises, bâtiments isolés, etc. L’objectif est donc de récolter les pelotes de réjection toujours sur le même site d’année en année afin de minimiser les biais d’échantillonnage et de maximiser la standardisation du protocole.
Exemple de situation de point d’échantillonnage de récoltes de pelotes de réjection d’Effraie des clochers
Méthode de relevés et détermination des espèces
Les pelotes récoltées doivent être les plus fraîches possibles afin d’éviter des mélanges d’âges et ainsi biaiser les résultats en s’appuyant sur des crânes anciens, non représentatifs de l’état actuel de la situation. Une des solutions consiste à balayer les sites après chaque récolte.
Chaque site est géoréférencé et les pelotes récoltées sont placées dans un sac hermétique avec une fiche commémorative (lieu de récolte, coordonnées GPS, date, etc.). Si le total des deux sites/niveau excède 120 pelotes, un sous-échantillonnage est réalisé. Si le total des deux sites/niveau est inférieur à 100 pelotes, un troisième site complémentaire est nécessaire sur le même niveau. Les pelotes sont analysées en laboratoire après 24 h au congélateur.
En 2017, seul le secteur géographique correspondant à l’ex-Aquitaine a été prospecté, soit 20 mailles de 10×10 km. Au total, 17 mailles ont révélé au moins un site de récolte de pelotes de réjection. Sur ces 17 sites, 46 % (N=8) étaient des maisons abandonnées, 18 % (N=3) des granges en pierres ou en bois, 18 % (N=3) des églises ou prieurés, 12 % (N=2) des anciens pigeonniers et 6 % (N=1) un ancien moulin.
Les espèces sont déterminées à l’aide d’une clé de détermination et grâce à l’utilisation d’une loupe binoculaire x10 pour valider les détails anatomiques des crânes.
Conditions météorologiques requises
Aucune condition météorologique particulière n’est requise. Les prospections peuvent se faire par tout temps. Il faut toutefois être vigilant afin de minimiser les dérangements des individus sur les sites de récolte de pelotes. Un passage annuel rapide en étant le plus discret possible est à privilégier.
Nombre de campagne de relevés
Dans le meilleur des cas, seul un passage par an est nécessaire par secteur (maille) pour récolter les pelotes. Parfois, il est nécessaire de parcourir une seconde fois une maille pour l’explorer plus finement en cas d’échec lors du premier passage (pas de site favorable contacté). Au-delà de deux passages sans pelotes, la maille est abandonnée et la recherche se poursuit sur une maille adjacente.
Fiche de relevés
Chaque site possède une fiche descriptive rappelant diverses informations de localisation (commune, lieu-dit, coordonnées géographiques, etc.), des informations sur la récolte de pelotes (nombre de pelotes, type d’habitat, remarques, etc.), ainsi qu’une carte et une photographie du lieu de récolte.
Exemple d’une maison abandonnée, gîte de l’Effraie des clochers
Une fiche de renseignement est aussi complétée lors de l’analyse des pelotes de réjection.
Résultats exploratoires
En 2017, les suites de la réorganisation des régions françaises ont permis de prospecter uniquement le territoire de l’Aquitaine (et non de la Nouvelle-Aquitaine). Les prospections se sont déroulées de juin à septembre 2017 sur environ 12 jours au total mais avec 6 jours de préparation cartographique. Les analyses de pelotes se sont elles aussi échelonnées entre juillet et octobre 2017 sur environ 5 jours.
Au total 17 mailles sur 20 prospectées ont permis la récolte de pelotes de réjection, 17 sites ont pu donc être identifiés avec présence d’Effraie des clochers. Trois mailles n’ont donc pas permis la récolte de pelotes malgré des prospections approfondies. Il s’agit de trois mailles en Gironde dans les secteurs de Cissac-Médoc (E040N646), Biganos (E039N640) et Saucats (E040N640).
Résultats de la récolte de pelotes en Aquitaine en 2017
Le nombre de pelotes récoltées s’élèvent à 793 pour 1 679 proies identifiées soit une moyenne de 2,1 proies par pelote.
Au total, 14 espèces ont été identifiées avec une présence en nombre d’individus très variable allant de 496 pour le Mulot sylvestre (Apodemus sylvaticus) à 2 pour la Musaraigne pygmée (Sorex minutus) :
Résultats de l’analyse des pelotes de réjection 2017
En analysant le tableau précédent, six espèces occupent 97 % des résultats en pourcentage, et deux espèces plus de 50 % (Mulot sylvestre et Campagnol des champs Microtus arvalis).
La Crocidure musette et la Musaraigne couronnée pourraient être des indicateurs à approfondir. Ces deux espèces, présentes en nombre dans les pelotes, sont plus sensibles à leur environnement que des rongeurs par exemple . Si ces deux espèces sont isolées, il est obtenu le tableau suivant un gradient nord-sud (niveaux 4 à 7) :
Résultats plus précis sur C. russula et S. coronatus
Aucune tendance ne semble s’afficher quant à la répartition de ces deux espèces. L’interprétation est difficile compte-tenu du faible nombre de données et du fait qu’il s’agit de la première année d’exploitation.
En fonction des sites par niveau (maille de 20 x 10 km), le nombre de pelotes récoltées oscille entre 56 (en excluant le niveau négatif (c.à.d. sans pelote trouvée dans les deux mailles juxtaposées) et 126, pour un nombre de proies compris entre 82 et 315 :
Répartition des résultats par niveau
Discussion
L’objectif de 2017 était de réaliser une première année de récolte de pelotes sur l’Aquitaine (soit 20 mailles de 10×10 km) en attendant de développer des partenariats avec d’autres structures en Limousin et Poitou-Charentes.
Trois mailles n’ont pas permis de trouver de sites pour la récolte de pelotes de réjection. Ces trois secteurs disposent de peu de bâtiments adéquats (grange, bâtiment abandonné, etc.) limitant les gîtes potentiels pour l’Effraie des clochers. A cela s’ajoute la difficulté d’accéder à certains bâtiments par refus des propriétaires ou lorsque le propriétaire n’habite pas sur place.
Un sous-objectif était d’atteindre au moins 100 pelotes récoltées pour deux mailles juxtaposées pour des questions de représentativité en nombre de proies. Or, il apparaît que seules quatre mailles remplissent ces conditions. Au-delà de la difficulté de trouver un site à Effraie des clochers (temps de recherche conséquent), s’ajoute le fait de trouver suffisamment de pelotes sur les sites identifiés et que ceux-ci soient toujours fréquentés par un individu pour assurer le dépôt de nouvelles pelotes. C’est ici certainement la critique majeure à apporter sur le protocole : la dépendance à l’Effraie des clochers. Cette dépendance implique plusieurs conséquences qui influent sur le succès de recherche et de récolte :
– gîte adéquat pour l’Effraie des clochers (présence d’un toit, peu de dérangement, ouvertures) ;
– présence effective d’un individu ;
– pérennité de cet individu ou d’autres individus pouvant utiliser le gîte (renouvellement des populations) ;
– évolution d’origine anthropique de l’habitat autour du gîte modifiant la composition en « micromammifères » ;
– pérennité du gîte pour les récoltes futures (dégradation naturelle avec le temps, destruction, rénovation d’habitats, pose de grillage anti-pigeons, etc.).
Cependant, afin de réaliser une étude globale sur les communautés de micromammifères sur un territoire aussi vaste que la Nouvelle-Aquitaine, la méthode d’échantillonnage adéquat reste l’analyse de pelotes de réjection d’Effraie des clochers, prédateur opportuniste et généraliste de micromammifères.
Parmi l’ensemble des espèces identifiées, trois pourraient être considérées comme indicateurs biologiques du changement climatique : le Pachyure étrusque (milieux chauds et secs), le Crossope aquatique Neomys fodiens (milieux humides) et la Musaraigne pygmée Sorex minutus (milieux frais et humides). Cependant, leur faible représentativité dans les pelotes limite pour le moment toute analyse. Dans une moindre mesure, la préférence de la Musaraigne couronnée (S. coronatus) va plutôt pour des territoires les plus frais et les plus humides, au même titre que la Musaraigne pygmée, même si des cartes prédictives de modélisation tempèrent ce fait en Aquitaine . La Crocidure musette (C. russula) semble prendre peu à peu le territoire de la Musaraigne pygmée et son expansion, constatée en Europe, pourrait être expliquée par le réchauffement climatique . Pour ces deux dernières espèces, les résultats de 2017 n’indiquent aucune tendance sur un gradient nord-sud par exemple qui pourrait être liée aux paramètres environnementaux.
Pour les Rongeurs, mis à part la Souris à queue courte, il est difficile de s’appuyer sur des espèces remarquables car aucune de celles-ci ne semble liée à un type d’habitat ou de conditions environnementales qui pourraient servir d’espèces bio-indicatrices. Le Campagnol des champs (Microtus arvalis) et le Campagnol agreste (M. agrestis) sont deux espèces largement réparties dans tous les milieux en Aquitaine . Le Campagnol agreste (M. agrestis) peut se retrouver dans les milieux humides mais il n’y est pas dépendant.
Cette première réflexion sur l’utilisation des espèces et communauté d’espèces chez les « micromammifères » comme indicateur biologique du changement climatique doit être approfondie pour mieux révéler les espèces clés en explorant plus en profondeur la bibliographie existante. Il faudra cependant que les « quantités » d’individus trouvés dans les pelotes de réjection soient suffisantes pour être statistiquement robustes. Ce fait rejoint la première difficulté de la dépendance à l’Effraie des clochers et donc de l’état de ses populations et de ses habitats. Le fait de passer par cette espèce pour l’échantillonnage de la Nouvelle-Aquitaine reste toutefois indispensable. Il est ici nécessaire de réfléchir sur l’investissement à apporter : plus de mailles à prospecter, plus de sites/pelotes par maille en espérant avoir plus de proies représentatives, plus de personnes à engager dans la démarche.