4. Développement d’indicateurs sentinelles du climat
4.1 Piste de recherche : groupes d’espèces sentinelles
De façon générale, la littérature mentionne les points suivants. Les réponses universelles reconnues sont les changements d’aire de répartition, de phénologie et d’écophysiologie des espèces. L’ampleur et la direction des réponses au changements climatique varient selon les espèces . Cet état de l’art sur les effets du changement climatique sur la biodiversité terrestre permet d’identifier des groupes d’espèces potentiellement sensibles au changement climatique.
4.1.1. Flore
Les espèces végétales sont de bons indicateurs des effets du changement climatique. Les changements d’aire de répartition des espèces végétales peuvent être plus faciles à détecter que des changements d’aire de répartition des animaux, car ces derniers ont souvent des fluctuations annuelles plus importantes . Cependant, le rythme des changements chez la flore varie et est susceptible d’être beaucoup plus lent que chez les animaux en raison de la mobilité réduite et, chez certaines espèces végétales, le temps de génération est relativement court .
Le changement climatique est responsable des changements d’aire de répartition observés vers le nord et en altitude de nombreuses espèces végétales. À la fin du 21e siècle, les aires de répartition des espèces européennes devraient avoir changé sur plusieurs centaines de kilomètres vers le nord . Les forêts sont susceptibles de diminuer dans le sud et de s’étendre dans le nord . La rapidité du changement dépasse la capacité d’adaptation de nombreuses espèces entrainant des extinctions . La capacité d’adaptation des espèces est liée à leur diversité génétique. A la fin du 21ème siècle, sur 1350 espèces végétales européennes, plus de la moitié atteindra sa limite d’aire de répartition et d’altitude et pourrait devenir menacée en 2080, avec des risques élevés d’extinction . Les plus grands changements sont prévus pour les espèces de plantes endémiques en Méditerranée, en zone euro-sibérienne et de nombreuses espèces dans les régions de montagne. 60% des espèces de plantes de montagne se déplacent de plus en plus en altitude et peuvent être menacées d’extinction . La migration vers de plus hautes altitudes des lignes d’arbres est un phénomène mondial. Elle pourrait devenir une menace majeure pour la biodiversité dans les montagnes, notamment pour l’espèce du Pin sylvestre (Pinus sylvestris) .
Pin sylvestre – Crusier [CC BY-SA 3.0]
10-50% des espèces végétales dans les pays européens risquent de disparaître d’ici 2100 sur leur emplacement actuel en l’absence d’atténuation du changement climatique (Bakkenes et al, 2006). D’autres espèces devraient bénéficier des conditions environnementales changeantes avec notamment l’émergence d’espèces non indigènes envahissantes. Ces invasives auront des conséquences difficiles à prévoir pour la conservation de la biodiversité à long terme . Par conséquent, la composition de nombreuses communautés végétales est en train de changer dans la mesure où ces nouveaux assemblages apparaissent .
Il existe des preuves claires que la phénologie des plantes ou le calendrier saisonnier des plantes sont en train de changer à travers l’Europe en raison de l’évolution des conditions climatiques . Le changement de phénologie climatique est susceptible de modifier le calendrier des saisons et, par conséquent, il est possible que les espèces modifient la période de leur reproduction : les espèces se reproduisant normalement au printemps tendent à se reproduire plus tôt ; les espèces d’automne, de leur côté, ont une reproduction plus tardive et certaines ne changeront pas leur date de reproduction . L’arrivée plus précoce du printemps a plus d’effet que la température. Entre 1971 et 2000, la progression moyenne du début du printemps et de l’été était de 2,5 jours par décennie . La saison du pollen commence en moyenne 10 jours plus tôt qu’il y a plus de 50 ans . Les différentes espèces montrent des réponses phénologiques différentes. Par exemple, des espèces végétales pollinisées par les insectes sont plus susceptibles de fleurir plus tôt que les plantes vivaces et que les espèces pollinisées par le vent . Les changements dans la floraison plus précoce ont des implications sur le moment et l’intensité de la saison pollinique. La concentration de pollen dans l’air augmente. Au global, les tendances des changements phénologiques dans les années et les décennies à venir continueront de progresser avec un réchauffement climatique qui s’accélère .
4.1.2. Invertébrés
Parmi les invertébrés, les insectes se sont révélés être de bons indicateurs biologiques des changements anthropiques sur l’environnement, comme la pollution, la perte d’habitat et la fragmentation. Ils sont également de bons indicateurs du changement climatique actuel. Ils réagissent au réchauffement par des changements dans la phénologie, la physiologie et dans leur aire de répartition. Leur réponse est également plus forte que les autres groupes d’organismes généralement considérés comme indicateurs, tels que les plantes, les oiseaux et les mammifères. Les insectes peuvent parfaitement révéler, illustrer, mesurer la façon dont la biodiversité et la structure des communautés sont touchées par le changement climatique .
Le changement climatique et la destruction de l’habitat ont été liés à une réduction mondiale de la biodiversité des vertébrés, y compris les mammifères, les amphibiens, les oiseaux et les poissons. Toutefois, les invertébrés constituent la grande majorité de la richesse globale des espèces, ainsi que les effets combinés du changement climatique et de l’utilisation des terres sur les invertébrés restent mal connus.
Les insectes sont censés être très sensibles aux changements climatiques, parce qu’ils ont des cycles de vie courts qui sont fortement influencés par la température. Les insectes constituent également le groupe taxonomique le plus diversifié, la réalisation d’interactions biotiques d’importance pour les services de fonctionnement et des écosystèmes écologiques, de sorte que leurs réponses aux changements climatiques sont susceptibles d’être considérablement plus large importance écologique. Cependant, un examen des données publiées récemment des effets observés et modélisées du changement climatique dans dix revues de haut rang montre que relativement peu d’études se sont concentrées sur les insectes. La majorité de ces études sont sur lépidoptères, en raison de l’existence de jeux de données contemporaines et historiques détaillées. Ces biais dans les informations publiées peuvent influer sur les conclusions relatives à la menace du changement climatique pour la biodiversité des insectes. L’évaluation de la vulnérabilité des espèces d’insectes protégés par la Convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel souligne également que la plupart des informations sont disponibles pour les lépidoptères. En l’absence des données nécessaires pour effectuer des évaluations détaillées des effets probables du changement climatique sur les insectes les plus menacés, nous considérons comment les études autoécologique peut aider à éclairer la vulnérabilité potentielle des espèces, et tirer des conclusions préliminaires sur les priorités en matière de conservation des insectes et la recherche dans un climat changeant .
Cependant, il y a encore beaucoup d’inconnues dans notre compréhension des effets néfastes et bénéfiques du changement climatique pour les systèmes biologiques. La recherche future doit tenir compte d’autres facteurs climatiques, biais géographique et taxonomique et l’effet des réponses individuelles sur l’interaction des espèces.
Parmi le groupe insectes, seuls quelques groupes d’insectes ont été étudiés dans le contexte du changement climatique (papillons, libellules, pucerons et bourdons). A notre connaissance, nous n’avons presqu’aucune information sur certains groupes par exemple les coléoptères. Les réponses face au changement climatique exigent des données historiques de bonne qualité à grande échelle spatiale. Ces données ne sont pas disponibles pour de nombreux groupes taxonomiques.
Hyménoptères
La pollinisation est un élément essentiel pour le maintien de la biodiversité . La coévolution des pollinisateurs et des plantes à fleurs suggère qu’une plus grande diversité de pollinisateurs contribue à accroître le succès de la pollinisation des plantes, ou bien, en retour, qu’une plus grande diversité de fleurs peut mieux maintenir une guilde variée de pollinisateurs . Cependant, le changement climatique affectera les interactions entre les espèces de plantes et de pollinisateurs dans l’espace et dans le temps, contribuant aux extinctions locales et donc à la perturbation des réseaux trophiques .
Les biotopes de montagne sont particulièrement sensibles aux variations climatiques conduisant à des changements potentiels de structure fonctionnelle dans les communautés . Les bourdons représentent un groupe de pollinisateurs parmi les plus efficaces et actifs dans les écosystèmes montagnards. Ils assurent la pollinisation de nombreuses espèces végétales de faible à haute altitude . Les caractéristiques fonctionnelles des bourdons leur permettent de tolérer des températures froides et d’avoir une activité efficace et optimale à haute altitude . Cette spécialisation aux conditions environnementales froides devrait les rendre plus sensibles au changement climatique. Les espèces de bourdons actuellement limitées aux hautes altitudes seront les plus impactées .
Dans les Alpes suisses occidentales, au moins cinq espèces de bourdons perdraient plus de 80% de leur population d’ici 2085 et risquent une extinction locale si le réchauffement se poursuit. Les espèces spécialistes de haute altitude comme Bombus monticola, B. sichelii et B. pyrenaeus ne sont potentiellement pas tolérantes aux fortes températures, ou elles sont moins actives par rapport aux autres espèces de bourdons plus compétitifs de milieux plus chauds . Les espèces les plus rares, avec une niche spécialisée, subiront la plus grande perte, comme par exemple B. alpinus qui se situe dans deux sites des Alpes au-dessus de 2500 m. L’habitat de ces espèces, déjà réduit, est susceptible de diminuer par le changement climatique et, au fur et à mesure, une dispersion vers les sommets sera limitée .
Bombus alpinus – Arnstein Staverløkk/Norsk institutt for naturforskning [CC BY 3.0]
Sous l’effet du changement climatique, certaines espèces de bourdons ont colonisé récemment l’Europe du Nord , ainsi deux espèces euro-méditerranéennes de bourdons, Bombus terrestris et Bombus lapidarius, ont récemment franchi en 2013 et 2014 le Cercle Arctique . En plus de provoquer le changement de répartition des espèces, le changement climatique peut également influer sur la structure fonctionnelle des communautés. Les morphologies florales des communautés végétales sont étroitement liées à la structure fonctionnelle des pollinisateurs . Le succès de la pollinisation d’une grande majorité des espèces végétales est ainsi déterminé par la disponibilité d’espèces diverses de pollinisateurs aux caractéristiques appropriées telles que la taille du corps ou la longueur du proboscis . Par sélection dans le temps, les bourdons présentent un proboscis d’une longueur associée au type de fleurs. Les bourdons avec un proboscis plus long visitent les fleurs plus profondes et ceux à proboscis courts des fleurs courtes. Une modification de la structure de la longueur du proboscis dans les communautés de bourdons est observée dans les Alpes et en Suède . Le changement climatique perturbe ainsi les interactions plante-pollinisateur par une homogénéisation de la diversité des proboscis , pouvant entrainer une diminution de certaines populations des espèces de bourdons voire sur le long terme conduire à la disparition locale des espèces de bourdons notamment celles adaptées au froid .
Lépidoptères
Les lépidoptères se démarquent comme l’un des groupes indicateurs du changement climatique, étant donné que, d’une part, ils sont poïkilothermes et, d’autre part, ils ont fait l’objet de programmes de surveillances approfondies dans plusieurs pays pendant plusieurs décennies . Les Lépidoptères disposent d’un cycle de vie très court et largement influencé par les conditions climatiques. Plusieurs études menées sur le groupe ont mis en évidence des impacts directs du changement climatique sur certains Rhopalocères notamment.
La littérature scientifique indique que, parmi les espèces, les papillons sont celles qui ont répondu le plus aux changements climatiques, notamment en modifiant leurs aires de répartition vers le nord ou vers de plus hautes altitudes . Dans la Sierra Nevada en Californie du Nord, sur 35 années de données, sur 159 espèces de papillons, la richesse spécifique a diminué de moitié, avec des variations plus sévères aux altitudes les plus basses, où la destruction de l’habitat est la plus importante. A des altitudes plus élevées, les espèces tolérantes au réchauffement climatique se sont développées. A long terme, l’interaction des changements induits par l’homme, à la fois sur le climat et sur l’habitat disponible, donne des effets négatifs pour les espèces de papillons .
De nombreuses espèces sont limitées aux régions montagneuses de haute altitude où les températures sont plus froides . Leurs communautés écologiques ont réagi au réchauffement climatique en migrant vers des altitudes plus élevées. Mais le déplacement varie selon les espèces et les habitats, et quelques espèces sont persistantes à basse altitude, malgré l’augmentation des températures . Le réchauffement climatique peut donc entrainer le déclin des populations de basse altitude et en conséquence la répartition de ces espèces .
Un exemple est le papillon Apollon Parnassius apollo, pour lequel une plus grande perte, se retrouve dans les populations de haute altitude (Wilson et al, 2015) . Parnassius apollo est un papillon de montagne en Europe, et ses larves se nourrissent principalement sur des Sedum sp. (Crassulaceae) , Sedum amplexicaule NNCIVS4K, S. brevifolium, S. forsterianum et S. album . Le papillon crée une génération par an (juin-août). Il hiberne en petite larve à l’intérieur de l’œuf .
La population P. apollo a diminué en Europe de près de 30% depuis 2000 , en lien avec le changement climatique . Le changement d’occupation du sol et la pollution peuvent également être associés à ce déclin . Une baisse des populations depuis les années 1960 suggère un déclin général pour cette espèce de papillon dans la chaîne de montagnes de la Sierra de Guadarrama, dans le centre de l’Espagne, où la température moyenne annuelle a augmenté d’environ 0,4°C par décennie depuis 1970 .
Le déclin observé à haute altitude entre 1967 et 2008 proviendrait d’une diminution globale des populations dans le centre de l’Espagne sur toutes les gammes d’altitudes liée au climat, conduisant à des extinctions locales . Les résultats obtenus depuis 2006 indiquent l’importance de la qualité de l’habitat local pour la persistance de la population notamment une importante disponibilité de plantes hôtes pour les larves. A une résolution plus fine, les habitats autour de 1500-2000 m d’altitude, avec une couverture de sol intermédiaire d’arbustes et de plantes hôtes larvaires de Sedum sont les plus susceptibles d’accueillir les populations de P. apollo . Ainsi, bien que les variations de températures aient été considérables pendant la période de développement larvaire P. apollo, la structure de la végétation semble avoir été le facteur le plus important dans l’utilisation de l’habitat local et pour la persistance de la population .
Le type de couverture de végétation, les abris naturels, amplifient, filtrent les variations de température. Dans les zones suffisamment étendues des plantes hôtes des larves et avec un couvert de type arbustif, les populations de P. apollo ont pu persister depuis 2006 dans toute la gamme d’altitude de l’espèce . Les œufs ne sont pas posés directement sur les feuilles de sedum. Un site avec suffisamment de plantes hôtes et d’arbustes peut agir à la fois en tant que support de ponte, et d’abri pour les larves .Celles-ci utilisent ainsi à la fois le sol nu et le couvert arbustif pour la thermorégulation et la recherche de nourriture, tout en se déplaçant sur des distances relativement courtes. Les températures printanières sur le sol nu sont en moyenne 2-3°C plus hautes que les températures sous la végétation . L’émergence des larves au printemps est avancée par des températures plus chaudes. Les pentes raides exposées au sud provoquent un plus grand risque de mortalité suite à un évènement froid .
Pour les autres papillons montagnards, les dates avancées de la fonte des neiges ont accru la mortalité larvaire et la baisse de la qualité de la plante hôte des larves . La période annuelle de la couverture de neige a diminué de 20-30 jours de 1967-1973. Cette diminution est liée au déclin observé chez P. apollo dans la Sierra de Guadarrama . Dans ce contexte, la protection des habitats, topographiquement hétérogènes, qui incluent des endroits abrités, orientés vers le nord, où les conditions sont fraîches, permet une couverture de neige plus adaptée. Les pentes exposées au sud quant-à-elles sont plus chaudes et permettent aux larves de se développer assez rapidement pendant les années froides .
La structure topographique, la végétation locale et le micro habitat fournissent des variations microclimatiques que les individus peuvent exploiter pour répondre à leurs exigences climatiques, à la fois de la disponibilité des ressources et des conditions de microclimat pour les larves, en dépit des conditions ambiantes défavorables. Malgré un récent déclin généralisé de P. apollo dans la Sierra de Guadarrama, les habitats locaux adaptés peuvent permettre aux populations de survivre dans toute la gamme d’altitude .
De plus, la connectivité restreinte entre les populations conduit à la fois à la réduction des chances de préservation ou de recolonisation des populations après des baisses locales d’effectifs ou des extinctions, et potentiellement à un risque accru de consanguinité . La reforestation dans la Sierra de Guadarrama contribuerait également à la réduction de la connectivité pour l’espèce. Cela a été constaté chez les populations de P. smintheus dans les montagnes Rocheuses . La diminution de la densité de la population locale, potentiellement liée aux conditions climatiques, est également susceptible de contribuer au déclin de la population. Des sites qui contiennent des quantités favorables de plantes hôtes et d’arbustes, mais sur des surfaces isolés et petites offrent peu de chances de persistance des populations à long terme et provoquent des extinctions .
Le changement climatique affectera également les cycles biologiques des espèces , les interactions plantes-insectes , les phénomènes écophysiologiques et en conséquence la survie des populations.
Le changement climatique peut modifier les périodes de vol des papillons, des températures plus élevées au printemps ont tendance à produire des avancées phénologiques. En Espagne, entre 1988 et 2002, les dates de vol ont significativement avancé pour 8 espèces parmi 19 espèces de papillons observées. Ces changements sont liés à une augmentation des températures moyennes de février, mars et juin de 1 à 1,5 ° C. Les réponses phénologiques peuvent être différentes entre des mêmes lignées ou des groupes taxonomiques proches. Les différents degrés de flexibilité phénologique peuvent expliquer les différences réponses des espèces. Les espèces multivoltines auront certainement une forte sélection favorisant des adaptations saisonnières locales telles que les phénomènes de diapause ou le comportement migratoire .
Les températures plus élevées entraînent des dérèglements entre les interactions essentielles des espèces de papillons avec leurs plantes nourricières, comme par exemple l’Azuré des mouillères Maculinea alcon et sa plante hôte Gentiana pneumonanthe . Le décalage précoce de la reproduction peut avoir des effets multiples et en cascade. Les espèces à capacité d’adaptation limitée sont sensibles à ce décalage de phénologie qui réduit l’état de remise en forme de l’individu, augmente la mortalité, et perturbe la chaîne trophique.
Azuré de la pulmonaire © Marie Daniel et fabien Mazzocco
Les espèces animales ectothermes, comme les insectes, utilisent la thermorégulation comportementale pour maintenir leur température corporelle. Différentes réponses à la température ambiante entre les populations de basse et haute altitude de papillons Satyrinae suggèrent d’éventuelles adaptations locales aux différents climats. Les espèces de basse altitude peuvent se retirer dans des microhabitats plus froids pour échapper à la chaleur, si nécessaire. Cependant, les populations d’espèces forestières de plaines peuvent être plus gravement menacées par le réchauffement climatique à cause de l’indisponibilité de microclimats froids. L’hétérogénéité de l’habitat permet d’atténuer les conséquences du changement climatique en fournissant une variété de microclimats, qui peuvent être explorées activement par les adultes. L’hétérogénéité de l’habitat est donc nécessaire à la survie des espèces à long terme .
Les phénomènes écophysiologiques peuvent également affecter les modèles biogéographiques à grande échelle. Le corps des insectes utilise l’énergie du soleil pour devenir mobile. Leur coloration varie en fonction du climat actuel. Les espèces d’insectes (libellules et papillons) de couleur foncée sont favorisées en climats plus froids et les espèces de couleur claire en climats chauds. Le lien entre le climat, les traits fonctionnels et les espèces affectent les répartitions géographiques, et ce, à l’échelle continentale .
Les espèces de papillons réagiront différemment aux changements climatiques et les mêmes espèces peuvent avoir une réponse différente au changement climatique en fonction des caractéristiques des populations, de l’habitat et des variations climatiques locales. Les interactions avec les facteurs biotiques et abiotiques, devraient être localisées.
Odonates
Les odonates sont des espèces indicatrices des effets biologiques des changements climatiques . Les libellules réagissent rapidement aux changements climatiques, montrant des réponses fortes sur un laps de temps de 10 ans . La plupart dépendent fortement des conditions de l’habitat, par exemple, la température de l’eau, la teneur en oxygène et la disponibilité de mares d’eau douce . Les changements climatiques modifient la composition de la communauté et l’abondance des espèces . Les traits d’histoire de vie des libellules, la thermorégulation, l’écologie, l’habitat et l’évolution sont impactés .
Les libellules Anisoptera et Zygoptera évoluent vers le nord en réponse au réchauffement climatique . La capacité de dispersion et les distances de dispersion peuvent évoluer au fil du temps. Les modifications des conditions environnementales peuvent forcer les processus d’adaptation menant directement à une plus grande mobilité et à l’augmentation des distances de dispersion ou indirectement, par l’amélioration de l’aptitude d’une espèce par des changements morphologiques , avec la diminution de la pression des prédateurs ou parasites et donc l’augmentation de sa capacité à se propager. En Allemagne et en Europe, une expansion générale de nombreuses espèces au nord se met en place. Les espèces méditerranéennes se sont élargies sur l’Europe centrale et du Nord, alors que certaines espèces africaines ont élargi leur aire de répartition vers l’Europe du Sud, certaines sont même nouvelles sur ce continent . Les leucorrhines sont des odonates dépendant du milieu aquatique pour leur reproduction. Liées au changement climatique, certaines espèces de leucorrhines vont voir leurs aires de répartition diminuées (Leucorrhinia albifrons et L. caudalis) alors que d’autres espèces vont les étendre (L. pectoralis) .
Leucorrhine à front blanc © Gilles Bailleux
Le changement climatique peut aussi conduire au blocage de la dispersion. Selon la latitude, le développement larvaire peut être plus ou moins long. L’hiver, quand le réchauffement atteint certains seuils de température, cela peut empêcher le début de la diapause des larves ou augmenter le taux métabolique au cours de cette étape . Ceci, et le fait qu’il n’y a pas de ressources alimentaires suffisantes pour compenser le déficit énergétique, peut conduire à la mortalité hivernale plus élevée et un risque d’extinction accru . Le réchauffement climatique provoque également l’avancement du cycle de vie des libellules, particulièrement sensibles à la température, c’est-à-dire conduire à une activité de reproduction et de migration plus précoce. Les évènements de froid imprévisibles sont susceptibles de causer une forte mortalité de ces espèces en décalage de développement .
Le changement climatique est une cause de diminution des espèces d’affinité boréo-alpines comme les Leucorrhines et les espèces de libellules de landes humides , en particulier, pour les espèces en voie de disparition. Les libellules et les demoiselles par exemple ont tendance à développer une mobilité réduite. De telles limitations dans les capacités de dispersion peuvent être liées à divers facteurs tels que les contraintes morphologiques ou dépendent étroitement des conditions d’habitat . Les exigences en matière d’habitat imposent des limites pour toutes les espèces étudiées. Les habitats peuvent ne pas être disponibles dans la nouvelle zone climatiquement appropriée empêchant ainsi une reproduction réussie et la colonisation .
Les effets indirects du changement climatique, tels que l’assèchement des masses d’eau ou la diminution de l’abondance des proies, combinant les caractéristiques de l’habitat et le changement climatique, jouent également un rôle majeur. En outre, d’autres facteurs abiotiques comme l’altitude et l’occupation du sol déterminent la répartition actuelle et le potentiel futur de dispersion . Par exemple, la taille des parcelles fragmentées des habitats appropriés peut influer sur la distance de dispersion d’une espèce .
4.1.3. Amphibiens
La plupart des amphibiens se déplacent rarement sur plus de quelques centaines de mètres au cours de leur vie; de nombreux reptiles à la fois terrestres et aquatiques peuvent se déplacer de leur côté sur des centaines de kilomètres. En raison de leur capacité de dispersion plus ou moins limitée, les amphibiens et les reptiles sont des espèces plus vulnérables aux changements rapides des habitats et aux risques d’extinction liés au changement climatique que les oiseaux . Il existe de nombreuses causes de disparition des espèces d’amphibiens provenant de pressions telles que la perte d’habitat, la surexploitation, la pollution, les espèces envahissantes et les maladies émergentes . Le changement climatique vient s’ajouter directement ou par une chaine causale à ces pressions et entraine le déclin des amphibiens . Bien qu’il existe de nombreuses causes de déclin des amphibiens, telles que la perte d’habitat, la surexploitation, la pollution, les espèces envahissantes et les maladies émergentes , l’influence du changement climatique mondial sur les amphibiens a fait l’objet de recherches qui se sont développées au cours des dernières décennies et celles-ci montrent que le changement climatique entraine directement leur déclin .
Les amphibiens ont besoin de milieux complémentaires proches entre terre et eau pour leur croissance, développement, recherche de nourriture, périodes d’hibernation et de reproduction. Cette biologie spécifique est susceptible d’être particulièrement affectée par le changement rapide du climat en raison de leurs capacités de mobilité réduite (déplacement de quelques mètres par an). Une méta-analyse des dates de reproduction et du réchauffement climatique de la planète sur 203 espèces dans l’hémisphère nord indique que les amphibiens y ont subi des impacts plus forts et deux fois plus rapide, que pour tous les autres groupes taxonomiques comme les arbres, les oiseaux et les papillons . Les amphibiens ont la peau perméable, les œufs n’ont pas de coquille et leurs cycles de vie sont complexes. Par exemple, les têtards des anoures ont besoin d’habitats aquatiques et, devenus adultes, d’habitats terrestres peu éloignés. Ce sont des animaux ectothermes, ce qui les rend vulnérables aux changements aquatiques et terrestres, à la température, aux précipitations et leurs combinaisons . Environ 41% des espèces d’amphibiens sont menacés d’extinction, un pourcentage plus élevé que celui des autres taxons de vertébrés . Ils figurent dans la Liste rouge de l’UICN comme « vulnérables », « en danger » ou « en danger critique » .
Plusieurs études rigoureuses ont démontré des effets létaux directs du changement climatique et indirects dus au changement de l’habitat qui en est la conséquence . Les espèces subtropicales, plus proches de leurs conditions limites de vie, sont plus sensibles à de petites augmentations de température que les espèces tempérées . Cependant, le réchauffement planétaire pourra provoquer une plus grande augmentation de la température dans ces régions tempérées que dans les zones subtropicales . Par exemple, il a été démontré qu’il existe une corrélation entre les conditions plus chaudes et sèches et le déclin des amphibiens en Italie .
Le changement climatique a également des effets non-létaux directs ou indirects multiples. Ce sont: les changements d’aires de répartition, phénologiques, et physiologiques tels que la réduction de la taille du corps .
Les déplacements de la faune sont prévus vers les pôles et les altitudes plus élevées. Ces migrations ont été observées chez les poissons, les insectes, les oiseaux et les mammifères . Cependant, l’herpétofaune ayant une mobilité réduite, ce phénomène n’a pas encore été décelé. La plupart des 108 espèces herpétofaune (42 espèces d’amphibiens et 66 espèces de reptiles) en Europe élargirait leur aire de répartition vers le nord en 2050 . Elles pourraient être piégées ou rassemblées dans des habitats inadaptés . Les amphibiens liés aux milieux frais en plaine et ceux de montagne de haute altitude seront isolés par la perte de leur habitat de base, ce qui réduit la stabilité de la structure en métapopulation . Ils seront donc fortement menacés par la pression directe du changement climatique, par les impacts indirects, par leurs capacités intrinsèques .
Le changement climatique va modifier le rythme des saisons et les espèces vont adapter leur phénologie telle que la période de reproduction. Trois classes de réponses ont été répertoriées : les espèces se reproduisant normalement au printemps, tendent à se reproduire plus tôt ; les espèces d’automne plus tardivement ; et certaines espèces ne changeront pas leur date de reproduction . Ces changements affecteront leur condition physique et donc la survie des populations . Si les amphibiens arrivent sur les sites de reproduction avant les pluies de printemps, la probabilité de déshydratation augmentera . Un événement exceptionnel tel qu’un gel peut également anéantir des populations entières . Les changements phénologiques d’autres espèces d’amphibiens pourront créer des concurrences entre les têtards .
Une modification physiologique, à savoir la diminution de la taille du corps, a été répertoriée comme la troisième réponse écologique importante au changement climatique. Plusieurs mécanismes sont susceptibles de contribuer à ce phénomène. Par les effets d’échelle, notons que des phénomènes affectent les surfaces, les réponses thermiques sont de leur côté, liées aux volumes. Les augmentations des températures et du taux métabolique affectent les corps de plus grande taille, plus coûteux en énergie que les plus petits corps . La sélection par la taille ou le volume des ectothermes s’exercera plus rapidement que celle des endothermes, parce qu’ils ne peuvent pas réguler leur température . Un corps plus petit réduit la fécondité et augmente le rapport surface-volume des amphibiens, provoquant potentiellement un risque de déshydratation sur des espèces qui sont déjà sensibles aux conditions sèches . Les temps de diffusion d’un signal thermique est lié au carré des longueurs, les animaux les plus petits s’y adaptent plus rapidement mais en subissent aussi plus rapidement les effets excessifs. Il en est de même pour la diffusion de l’eau mais à des vitesses beaucoup plus faibles, donc en décalage avec la température. L’équilibre température, humidité a été appris par sélection sur des temps longs, les espèces ne s’adapteront pas sur un temps court.
En plus de ces réponses au changement climatique communes aux autres taxons, il existe d’autres effets indirects spécifiques aux amphibiens.
L’augmentation des températures augmente leurs taux métaboliques et leurs besoins caloriques. S’ils ne peuvent pas augmenter leur consommation de nourriture pour répondre à ces besoins, leur croissance diminue et leur condition physique se dégrade. Ceci augmente le risque de déshydratation, d’exposition aux maladies, et réduit la fécondité et la reproduction des adultes . De nombreuses régions du globe deviennent en moyenne de plus en plus sèches, ce qui augmente encore plus le risque de déshydratation des populations. Les augmentations de la température et de la sécheresse ont déjà été associées à une réduction de la fécondité et de la reproduction des adultes des amphibiens .
Le changement climatique a des effets indirects liés à des facteurs biotiques. Il augmente les menaces pour les amphibiens, tels que les agents pathogènes, les prédateurs et les compétiteurs .
La réduction de la profondeur de l’eau concentre les larves d’amphibiens et les escargots infectés de trématodes, ce qui entraîne une augmentation significative des infections de trématodes chez les amphibiens . Le déclin des amphibiens est causé par des épidémies provoquées par des conditions climatiques particulières et/ou le changement climatique . Cette hypothèse a été le plus souvent associée à Batrachochytrium dendrobatidis ou « Bd », probablement parce qu’il est l’un des pathogènes qui semble être une cause du déclin mondial des amphibiens . Les études suggèrent, qu’à l’échelle mondiale, la chytridiomycose, la maladie causée par Bd est infectieuse et mortelle chez les amphibiens . Un des déclencheurs de cette maladie résulte d’une saison de sécheresse prolongée ou accrue . Les conditions sèches du milieu augmentent également le niveau de stress des amphibiens et, par conséquent, réduisent leur immunité face aux infections Bd . Elles peuvent concentrer les amphibiens à des densités élevées dans les micro habitats humides restants, ce qui favorise la transmission de Bd . Les conditions sèches augmentent également le risque de prédation comme par exemple celui des mouches piqueuses sur la Grenouille arlequin (Atelopus varius) au Costa Rica . Les différences de changements phénologiques entre les espèces, en réponse au changement climatique, et l’expansion des espèces envahissantes induites par le climat, entraîne de nouvelles interactions concurrentielles et prédatrices chez les amphibiens .
Grenouille arlequin – Brian Gratwicke [CC BY 2.0]
4.1.4. Reptiles
Le changement climatique est une cause du déclin de plusieurs populations de reptiles . L’aire de répartition et l’écologie des reptiles reflètent l’état des variations climatiques de pluies et de températures dans le milieu. Comme pour les amphibiens, en raison de leur capacité de dispersion limitée (dizaine de mètres pour les petites espèces de lézards et maximum de centaines de kilomètres par an pour les serpents), les reptiles sont des espèces vulnérables aux modifications rapides de leurs habitats liés au changement climatique et donc aux risques d’extinction . A l’échelle mondiale, depuis 1975, 4% des populations locales ont disparu, mais, d’ici à 2080, les extinctions locales devraient atteindre 39% dans le monde, et les extinctions d’espèces 20%. Les lézards ont déjà franchi un seuil d’extinctions causées par le changement climatique Le changement climatique conduit à des extinctions qui vont dépendre de la capacité des reptiles à s’adapter . Certaines espèces pourront se déplacer dans des environnements thermiques plus favorables et d’autres pourront s’adapter par plasticité comportementale, physiologique. Pour les autres espèces, cela conduit à un effondrement démographique et à des extinctions . Par exemple, 59% des espèces de reptiles sud-africains et 98% des européens pourront s’éteindre s’ils ne peuvent pas changer leurs aires de répartition, alors que s’ils peuvent migrer, l’extinction sera de 0% et 35% respectivement
Les modifications potentielles de l’aire de répartition en réponse à l’augmentation de la température ont été mises en évidence sur plusieurs groupes taxonomiques . Cependant, les études sur les reptiles se sont limitées principalement à des zones géographiques restreintes . En Espagne, au cours du 20ème siècle, les reptiles ont décalé leur répartition spatiale vers le nord entre 1940-1975 et 1991-2005 . La latitude moyenne des espèces du nord s’est déplacée d’environ 0,5 km/an [0,2 ES], ce qui est similaire aux autres groupes taxonomiques , et correspond à la capacité de dispersion des reptiles d’Espagne . Des modèles font la projection que les effets du changement climatique sur les reptiles seront particulièrement aigus en Méditerranée, dans la péninsule ibérique en particulier .
Des changements d’aire de répartition altitudinale des reptiles montagnards ont été également identifiés . Les populations de lézards montagnards sont plus sensibles au changement climatique en raison de leur adaptation passée aux climats froids . Les espèces de faible altitude, auparavant limitées par leur physiologie, devraient se développer dans des habitats historiquement froids et devenus plus chauds , et en conséquence vont peut-être accélérer l’extinction des lézards de haute altitude par concurrence. Les reptiles montagnards vont ainsi se déplacer vers des altitudes refuges plus hautes. Ils vont alors laisser une niche vacante aux espèces de basses altitudes. Par conséquent, la compétition avec les taxons de basse altitude augmentent les extinctions des taxons de haute altitude.
La vitesse à laquelle les espèces se déplacent vers le nord ne se limite pas exclusivement à leur capacité de dispersion, mais aussi à d’autres facteurs, tels que la répartition de l’habitat . Les barrières géologiques, les changements dans la phénologie et de l’état de santé de l’espèce, le rapport de mâles-femelles sont autant de facteurs qui se combinent à la réponse à l’augmentation de la température . Des espèces liées au cordon dunaire peuvent également déplacer leur habitat en suivant le changement du trait de côte. Cependant, il est possible que ces espèces ne retrouvent plus leur habitat.
Les lézards ne peuvent pas évoluer assez rapidement pour suivre le changement climatique actuel en raison de contraintes liées à leur préférence thermique . L’activité en période chaude peut entraîner une température du corps dépassant le maximum thermique critique, conduisant à la mort. Pour se refroidir, les lézards se retirent dans les refuges plutôt que de subir le risque de surchauffe. Cependant, les durées de repli dans les refuges restreignent la durée de recherche de nourriture. Cela limite les fonctions métaboliques coûteuses comme la croissance, l’entretien et la reproduction. Les taux de croissance de la population sont compromis et augmentent d’autant le risque d’extinction. Même s’ils peuvent adapter et tolérer des températures plus chaudes, ils se rapprochent du seuil létal .
Le risque d’extinction va augmenter par d’autres adaptations thermiques acquises. Par exemple, la viviparité est une adaptation thermique réservée aux climats froids . Elle peut élever le risque d’extinction à cause de la température haute du corps qui compromet le développement embryonnaire in utero . Le risque d’extinction des lézards vivipares serait deux fois plus important que chez les lézards ovipares. Au Mexique, le risque d’extinction des taxons vivipares est de plus significativement lié à une faible proportion d’habitats frais de montagne .
Les lézards ectothermes ont une phénologie contrainte par la température. La reprise d’activité post-hivernale et la vitesse de la gestation sont directement impactées par des variations climatiques qui déterminent les périodes propices aux activités de déplacement, d’alimentation et de reproduction. Le climat influence également la température corporelle de l’organisme et donc la vitesse des processus physiologiques. Les populations de Lézard vivipare (Zootoca vivipara), une espèce des milieux froids cantonnée en aux milieux à landes et molinie, sont particulièrement sensibles au réchauffement climatique .
Lézard vivipare © Matthieu Berroneau
4.1.5. Petits mammifères
Le changement climatique aura un impact sur les populations animales, et les mammifères ne font pas l’exception. Certains mammifères, dont l’aire de répartition dépend du climat, ne seront pas en mesure d’éviter les pressions du changement climatique. Les mammifères utilisent généralement une variété de ressources souvent disjointes. Ils ont besoin de lieux pour se cacher, manger, boire, et se reproduire, et dans de nombreux cas, ces endroits sont distincts et peuvent changer selon les saisons. Ainsi, le changement climatique pourra perturber les traits d’histoires de vie complexes des mammifères .
Les petits mammifères terrestres, y compris les rongeurs et insectivores (musaraignes), constituent typiquement le groupe de mammifères le plus grand et le plus diversifié dans de nombreux écosystèmes . Ainsi, la plupart des changements d’abondance des mammifères et des aires de répartition résultant du changement climatique, devraient se retrouver dans ce groupe . Les petits mammifères rongeurs sont également la principale proie pour de nombreux mammifères, oiseaux, et autres prédateurs, et ils agissent sur la composition des communautés végétales . De plus, ce sont des vecteurs de nombreuses maladies qui peuvent affecter directement les sociétés humaines .
Le changement climatique global a une incidence sur l’aire de répartition et la richesse spécifique des petits mammifères. L’extinction de certaines espèces est liée à la disparition de leurs habitats. Le type hétérogène de changement climatique, plus chaud, plus sec, plus humide et leurs combinaisons, sont des facteurs importants .
Certains mammifères ont des adaptations climatiques très spécifiques, telles que l’hibernation. Les espèces qui hibernent doivent être résistantes aux changements climatiques pendant l’hiver comme par exemple la Marmotte des Alpes (Marmota marmota) qui hibernent dans des terriers pour faire face à des hivers rigoureux. La marmotte, avec ses courtes pattes, ne dispose que de facultés de déplacement réduites.
Les marmottes alpines vivent en groupes familiaux. Ils sont composés d’un couple dominant qui se reproduit une fois par an, d’un ou de plusieurs couples subordonnés non reproducteurs, et de petits de l’année. Les marmottes passent leur saison active à accumuler assez de graisse à la fois pour survivre à l’hibernation pendant l’hiver et pour commencer la reproduction au printemps suivant . La taille des portées chez les mammifères augmente avec la masse corporelle de la mère. Ainsi, à l’émergence du printemps, cette masse est un facteur déterminant sur le nombre de marmottons . La taille de la portée est un trait d’histoire de vie clé chez les rongeurs qui influe fortement sur le taux de croissance de la population .
Marmotton © Thomas Ruys
Un suivi hivernal depuis 1990 a montré que la diminution de la couverture neigeuse pendant l’hiver dans les Alpes, liée au changement climatique, corrélée à la diminution de la taille des portées . La baisse de la masse corporelle de la mère au cours de la même période suggère que ce soit un facteur de la diminution de la taille de la portée . Une couverture de neige plus mince pendant l’hiver réduit la couche d’isolation. Elle provoque une zone gelée plus profonde sous terre et cela implique la consommation de graisse jusqu’à épuisement. Les marmottes doivent dépenser de l’énergie pour maintenir la température du corps au-dessus de 5°C . A l’inverse des conditions hivernales, la taille des portées est positivement corrélée au printemps et à la fonte des neiges. Une fonte des neiges précoce raccourcit la période de temps entre l’hibernation et l’accès à une nourriture de haute qualité . Les marmottes sont ainsi en meilleure forme à l’émergence. Cependant, à long terme, le changement climatique affecte de façon complexe la taille de portée des marmottes alpines, en dépit de l’effet positif d’une fonte des neiges précoce au printemps .
L’association entre l’épaisseur de la couche de neige et la taille de la portée des marmottes alpines pourrait également être liée à l’hibernation sociale. Chez les espèces sociales qui hibernent, la taille et la composition du groupe pendant l’hibernation peuvent influer sur les dépenses d’énergie des membres du groupe. Dans des conditions difficiles, les mâles subordonnés peuvent aider à améliorer sensiblement la survie des marmottons . Les petites portées pourraient diminuer le nombre de marmottes « aides » sur les années suivantes. La réduction du nombre d’aides pourrait être liée à une diminution de la survie des petits. La marmotte alpine serait affectée par des effets multiplicateurs du climat sur leur taux de reproduction.
En France, la marmotte des Alpes est également présente dans les Pyrénées. Disparue à la fin de la dernière période glaciaire (15 000 ans environ), elle a été réintroduite dans les Pyrénées notamment lors de la création du Parc national des Pyrénées en 1967. Elle est actuellement présente et s’est adaptée au milieu pyrénéen jusqu’en Espagne . Il n’existe à ce jour aucune étude sur l’effet du changement climatique sur cette espèce en milieu pyrénéen.
La façon dont les espèces végétales et animales réagissent au changement climatique varie considérablement entre les espèces, et mêmes entre espèces apparentées avec des niches écologiques similaires. Une autre étude sur la marmotte à ventre jaune (Marmota flaviventris), une espèce de marmotte vivant en Amérique du Nord, a démontré que cette espèce a ajusté sa période d’hibernation et de reproduction. Ces modifications de phénologie ont conduit à une saison d’activité plus longue et donc d’engraissement plus longue. Cet allongement de la période d’activité favorise à la fois la survie et la reproduction de ces marmottes, entraînant un accroissement de la population. Ces deux cas d’études montrent des réponses opposées liées à la biologie et la démographie de l’espèce (épaisseur de neige en hiver dans cette région du globe en moyenne quatre fois supérieure à celle des Pyrénées et bilan du métabolisme d’hibernation meilleur chez la marmotte américaine).
4.2 Identification des indicateurs
4.2.1. Choix de la zone d’étude
Les différentes zones géographiques connaîtront des intensités variables du changement climatique . Elles renferment des espèces avec des sensibilités différentes à cette pression de la variation du climat . Par conséquent, l’identification en biodiversité d’une zone géographique d’étude est une étape préalable au choix et développement d’indicateurs dites « espèces sentinelles du climat ».
En France, d’ici 2100, l’augmentation de la température moyenne se retrouvera dans la gamme comprise entre 3,4°C-3,6°C en hiver, et 2,6°C et 5,3°C en été, selon les scénarios utilisés. L’augmentation de température sera également associé à une forte augmentation du nombre de jours de vagues de chaleur en été, des épisodes de sécheresse au sud du pays, du taux de précipitations extrêmes et à une diminution des extrêmes froids sur l’ensemble du territoire . Les écosystèmes naturels en France couvrent près de 15 % du territoire. La France, par ses différents territoires, est un pays de référence privilégié permettant d’étudier un panel de milieux rencontrés à l’échelle mondiale. Elle contient une grande richesse botanique liée à la diversité de climats, de reliefs et de types de sols, qui en font une zone d’étude à grande diversité d’écosystèmes naturels fermés, ouverts, aquatiques et terrestres bien documentés : forêts, prairies, landes, milieux méditerranéens, zones humides et écosystèmes aquatiques .
Les espèces réagiront différemment aux changements climatiques et ces mêmes espèces peuvent avoir une réponse différente en fonction de conditions locales particulières. En France, la région Nouvelle Aquitaine est un site d’étude privilégié par ses écosystèmes diversifiés et parce qu’elle est une des régions où le réchauffement climatique sera probablement le plus important en France. Les sécheresses estivales y seront récurrentes dans les décennies à venir avec un accroissement de pluies intenses en été . Géographiquement, cette région est constituée de l’ensemble des écosystèmes naturels terrestres : dunaires, montagnards, humides, secs, forestiers.
L’analyse bibliographique a permis de lister des groupes d’espèces indicateurs couramment utilisés pour caractériser l’état des milieux : mousses, fougères, Gymnospermes et plantes à fleurs, insectes (bourdons, odonates, lépidoptères), amphibiens, reptiles (lézards) et petits mammifères (rongeurs, Marmotte des Alpes). Pour chaque type d’écosystème, les espèces végétales et animales classées en tant que sentinelles ont été identifiées à partir de critères définis. L’enjeu de l’étude sur la région Nouvelle Aquitaine consiste à développer un ensemble adapté d’indicateurs qui réunissent les critères listés, définis et admis dans la littérature :
- Sensible : capacité à traduire le début du phénomène du changement climatique avant les variations importantes des pressions exercées sur les espèces suivant trois réponses : changements 1) d’aire de répartition (migration locale ou extinction locale des populations), 2) de phénologie et 3) d’écophysiologie,
- Simple : individu facilement détectable, protocole réaliste et utilisable avec des moyens et délais délimités,
- Prévisible : connaissance de la biologie et de l’écologie de l’espèce, disponibilité de données historiques de suivi de l’espèce,
- Objectif : refléter la valeur écologique indépendamment de toute considération sociale,
- Reproductible : possibilité de comparer les données sur le long terme.
Les espèces rares ne sont pas uniquement celles les plus sensibles au changement climatique, les espèces communes d’un taxa, par sa variabilité spécifique, est sensible à cette évolution .
A partir de l’analyse bibliographique, des critères définis ci-dessus et d’une importante base de données empiriques des productions d’atlas de la flore (atlas en ligne : ofsa.fr) et de la faune en région Aquitaine , les espèces et groupes d’espèces indicateurs ont été développés pour 5 types d’écosystèmes naturels aquitains potentiellement sensibles au changement climatique.
Figure 9 : Etapes de développement d’indicateurs d’espèces et groupes d’espèces indicateurs du changement climatique.
Les indicateurs ont été identifiés en collaboration avec les acteurs du territoire : Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique (CBNSA), Cistude Nature, Conservatoire d’espaces naturels d’Aquitaine (CEN Aquitaine), David Genoud DGe et Université de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA). Suite à des échanges entre ces partenaires, les indicateurs de cortège végétal et animal ont été développés par type d’écosystème.
Figure 10 : Espèces ou groupes d’espèces sentinelles en région Nouvelle Aquitaine.
Pour chaque écosystème, les échanges entre ces partenaires sont résumés dans les paragraphes suivants qui donnent les éléments clés du choix des espèces ou groupes d’espèces indicateurs.
4.2.2. Ecosystème dunaire
En Aquitaine, le milieu dunaire et la côte sableuse subissent directement l’influence des vents, du niveau de la mer et des marées. Les conditions du milieu sont donc liées à la salinité et la chaleur. L’augmentation d’épisodes ponctuels forts tels que les tempêtes peut rendre ce milieu vulnérable à l’érosion et au recul du trait de côte. Les phénomènes liés au changement climatique sont l’augmentation des températures moyennes et des chaleurs estivales et une diminution des précipitations moyennes .
D’après le CBNSA, certains cortèges floristiques des dunes littorales d’Aquitaine pourraient régresser ou disparaitre. Les cortèges sont en partie composés d’espèces végétales thermophiles notamment d’affinités méditerranéennes , une progression de ces communautés végétales est également possible.
D’après Cistude Nature, des espèces liées au cordon dunaire peuvent également déplacer leur habitat en suivant le changement du trait de côte. Cependant, il est possible que ces espèces ne retrouvent plus leur type d’habitat comme par exemple le Lézard ocellé Timon lepidus en région Nouvelle-Aquitaine. C’est une espèce emblématique thermophile qui colonise le milieu dunaire entre l’embouchure de l’Adour et l’Ile d’Oléron. Elle se retrouve, principalement sur le cordon dunaire du littoral atlantique . Le Lézard ocellé et ses habitats apparaissent fortement menacés par les phénomènes d’érosion liés aux montées des eaux et aux épisodes de tempêtes. D’après l’UPPA, l’activité en période chaude peut entraîner une température du corps dépassant le maximum thermique critique du Lézard ocellé. Pour se refroidir, les lézards se retirent dans les refuges plutôt que de subir le risque de surchauffe entrainant des modifications de comportement, comme par exemple la recherche de nourriture .
4.2.3. Ecosystème sec
Les pelouses calcicoles sont identifiées dans le milieu sec et répartis majoritairement en Dordogne, dans le Lot-et-Garonne et, dans une moindre mesure, en Gironde et en Pyrénées atlantiques. Ces habitats de pelouses sèches se développent sur des substrats calcaires et hébergent une flore particulière avec des espèces adaptées à des sols pauvres en nutriments supportant un déficit hydrique important en période estivale telles que Rhaponticum coniferum, Dorycnium pentaphyllum, Argyrolobium zanonii, Fumana ericifolia, Anthericum liliago, Sideritis hyssopifolia subsp. guillonii . D’après le CBNSA, le changement climatique pourrait modifier le cortège avec l’apparition et la propagation d’espèces thermophiles d’affinités méditerranéennes .
Les lépidoptères sont reconnus comme l’un des groupes indicateurs du changement climatique, car ils sont fortement liés aux plantes hôtes et nectarifères de l’habitat, car ils sont poïkilothermes et qu’ils font l’objet de programmes de surveillances approfondies en France et à travers la Nouvelle-Aquitaine. D’après Cistude Nature et le CEN Aquitaine, le cortège des lépidoptères des pelouses calcicoles (Azuré du serpolet Maculinea arion, Argus bleu céleste Polyommatus bellargus, Flambé Iphiclides podalirius, Fluoré Colias alfacariensis, Soufré Colias hyale,…) peut évoluer suivant le réchauffement climatique par l’apparition ou le développement des espèces à affinité méditerranéenne, telles que le Citron de Provence (Gonepteryx cleopatra), et suivant la modification des espèces végétales hôtes par des extinctions locales d’espèces de lépidoptères. Ils sont également dépendants de la température du milieu, la température locale, pour leur activité . Leur optimum de développement, comme les autres insectes, sera influencé par le réchauffement de température.
D’après Cistude Nature, les espèces thermophiles peuvent étendre leur aire de répartition selon les nouvelles conditions climatiques favorables. Par exemple, le plus petit mammifère du monde, la Pachyure étrusque (Suncus etruscus), et la Souris à queue courte (Mus spretus), de masse corporelle 1,8 g et 12-18 g respectivement , sont des espèces d’affinité méditerranéenne. Elles se retrouvent en Nouvelle-Aquitaine, actuellement le long de la vallée de la Garonne. Un réchauffement global pourrait leur permettre une extension rapide de leur aire de répartition respective plus au nord. En effet, il semble que, de manière générale, les petits mammifères souffriront moins du changement climatique, par une adaptation physiologique et physionomique plus rapide .
4.2.4. Ecosystème humide
Dans les milieux humides, et notamment dans les tourbières et les lagunes, les effets du changement climatique sont déjà constatés. A cause d’un réchauffement global et de périodes de sècheresse prolongée , les espèces d’affinités boréales et humides risquent de disparaître au profit d’espèces à affinités plus chaudes et sèches.
La Nouvelle-Aquitaine présente de nombreux types de milieux humides de plaine. Les milieux humides les plus frais potentiellement impactés par le changement climatique et étudiés ici sont : les lagunes du plateau landais, les landes humides, les tourbières et les étangs arrière-littoraux.
Lagunes du plateau landais
Les lagunes du plateau landais sont notamment constituées de végétations amphibies au sein de pièces d’eau soumises naturellement aux variations du niveau des eaux. D’après le CBNSA, l’évolution de ces niveaux induite par le changement climatique pourrait entrainer la modification de l’emprise spatiale et topographique des communautés amphibies .
Les leucorrhines sont des odonates dépendants du milieu aquatique, notamment les lagunes landaises en Nouvelle-Aquitaine, pour leur reproduction. D’après le CEN Aquitaine, certaines espèces vont voir leurs aires de répartition locales réduites avec la régression des lagunes, liée au changement climatique. La Leucorrhine à front blanc (Leucorrhinia albifrons) est inscrite sur la liste rouge de l’IUCN et fait partie des espèces protégées en France et d’intérêt communautaire. Cette espèce pourrait être menacée par le réchauffement de température et la perte d’habitat liés au changement climatique.
Landes humides et tourbières
D’après le CBNSA, les habitats de landes humides et tourbières seraient particulièrement sensibles aux épisodes de sécheresses et de canicules intenses. Les tourbières forment des reliques glaciaires en Nouvelle Aquitaine. En effet, les végétations qui les composent trouvent leur optimum dans les régions froides (boréaux-montagnardes) où la décomposition de matière organique en condition anaérobie est fortement réduite. Comme les landes humides et les bas-marais acidiphiles, elles sont adaptées à un engorgement plus ou moins régulier par des eaux pauvres en nutriments et acides. Ces contraintes permettent le développement d’une flore strictement inféodée à ces milieux (Menyanthes trifoliata, Narthecium ossifragum, Gentiana pneumonanthe, Sphagnum fallax, Rhyncospora fusca, Drosera rotundifolia, Lycopodiella inundata). Dans le contexte du changement climatique, ces végétations pourraient disparaître ou se raréfier au profit de végétations de landes plus sèches et de communautés moins oligotrophiles.
D’après Cistude Nature et le CEN Aquitaine, les espèces du cortège de lépidoptères associés aux landes humides sont susceptibles d’être sujettes à des extinctions locales, par exemple le Fadet des laîches (Coenonympha oedippus) strictement protégé de l’annexe 2 de la Convention de Berne, sur la liste des insectes strictement protégés de l’annexe IV de la Directive Habitats, inscrit sur la liste rouge des insectes de France métropolitaine. L’Azuré des mouillères (Phengaris alcon) est également une espèce qui pourra être fortement impactée par le changement climatique. Le cycle de vie complexe de cette espèce dépend obligatoirement de plusieurs hôtes : plante-hôte Gentiane pneumonanthe (Gentiana pneumonanthe) et fourmis-hôtes spécifiques Myrmica scabrinodis, M. ruginodis ou M. rubra. L’été, les femelles pondent de 50 à 100 œufs répartis sur les boutons floraux de la plante-hôte, la Gentiane pneumonanthe, plante hémicryptophyte vivace, inféodée aux zones humides : prairies humides et zones marécageuses . La Gentiane pneumonanthe est une plante à floraison tardive (août-septembre). Sa période de floraison risquant d’être plus précoce si l’hypothèse d’un réchauffement climatique se confirme, la période de ponte de l’Azuré des mouillères pourrait être modifiée.
Certains amphibiens de milieux frais semblent fortement menacés par le changement climatique tels que, d’après Cistude Nature, la Rainette ibérique (Hyla molleri). La rainette méridionale (Hyla meridionalis) est une espèce d’affinité méditerranéenne plus thermophile qui pénètre dans certaines lagunes où H. molleri est présente . Un rapport de force entre ces deux espèces est très certainement lié aux conditions climatiques locales et pourrait évoluer en fonction du changement climatique. Le lézard vivipare est également une espèce d’affinité climatique fraîche. Abondante en altitude, l’espèce est beaucoup plus rare en plaine où elle se cantonne à des milieux de landes humide . D’après Cistude Nature, la modification et disparition de ces milieux frais entrainerait une possible extinction locale de l’espèce.
Etangs arrière-litoraux
Les cortèges amphibies caractéristiques et spécifiques des étangs à substrat sableux, aux eaux acides oligotrophes, comme pour la végétation des lagunes du plateau landais, sont constitués de végétations des pièces d’eau soumises naturellement aux variations du niveau des eaux .
D’après le CBNSA, l’évolution des niveaux induite par le changement climatique pourrait entrainer la modification de l’emprise spatiale et topographique des communautés. Les rives des étangs arrière-littoraux de l’Aquitaine hébergent une flore particulière (Lobelia dortmanna, Isoetes boryana, Caropsis verticillatto-inundata, Littorella uniflora). Ces étangs isolés de la mer par un cordon dunaire sont donc alimentés exclusivement par les eaux des bassins versants. Issues du plateau sableux du triangle landais, ces eaux acides et oligotrophes favorisent le développement de communautés végétales originales. Ces végétations vivaces sont adaptées à des sols pauvres en nutriments et aux fluctuations des niveaux d’eaux qui déterminent leur agencement en ceinture le long d’un gradient topographique plus ou moins étendu. Selon le gradient hydrique, trois types de communautés végétales sont identifiées : aquatiques (immergées toute l’année), amphibies (immergées seulement une partie de l’année), terrestres (toujours émergées). D’après le CBNSA, dans le contexte du changement climatique avec des sécheresses et canicules plus intenses, ces végétations amphibies et aquatiques pourraient disparaître ou se raréfier au profit des végétations strictement terrestres et moins oligotrophiles.
4.2.5. Ecosystème montagnard
Le milieu montagnard est constitué de zones de gradients climatiques. Les différences de saisons devraient être plus marquées impactant directement la phénologie et le gradient de répartition altitudinal des espèces des montagnes des Pyrénées. Les espèces des régions de montagne devraient être particulièrement touchées et susceptibles d’un risque d’extinction locale rapide . La fonte de la neige et l’augmentation des températures du sol contribueraient à l’évolution du milieu, sur le plan écologique, qui pourrait alors être occupé par d’autres espèces moins spécialistes et plus opportunistes.
L’Apollon Parnassius apollo est une espèce de papillon sensible au changement climatique. La population P. apollo a diminué en Europe de près de 30% depuis 2000 , localement en lien avec le changement climatique . Une baisse des populations depuis les années 1960 suggère un déclin général pour cette espèce de papillon dans la chaîne de montagnes de la Sierra de Guadarrama, dans le centre de l’Espagne, où la température moyenne annuelle a augmenté d’environ 0,4°C par décennie depuis 1970 . Le déclin observé à haute altitude entre 1967 et 2008 proviendrait d’une diminution globale des populations sur toute la région et sur toutes les gammes d’altitudes, liée au climat, ce qui a réduit la taille des populations, même à des altitudes élevées, conduisant à des extinctions locales . Les résultats obtenus depuis 2006 indiquent l’importance de la qualité de l’habitat local pour la persistance de la population . D’après Cistude Nature, le suivi du cortège lépidoptères de l’habitat de pelouses montagnardes à Parnassius apollo semble pertinent pour étudier l’évolution du cortège par rapport au changement climatique dans les Pyrénées.
Dans la littérature, il a été démontré que le changement climatique perturbe les interactions plante-pollinisateur par une homogénéisation de la diversité des proboscis , pouvant entrainer une régression de des populations de certaines espèces de bourdons voire sur le long terme conduire à la disparition locale des espèces de bourdons notamment celles adaptées au froid . D’après plusieurs experts dont DGe, sur le long terme, les bourdons de basse altitude (planitiaire) devraient remonter en haute altitude. Les bourdons à proboscis moyen et court devraient coloniser les étages supérieurs et sans doute s’adapter par l’évolution de traits ecophysiologiques. Les bourdons à proboscis court et moyen seront favorisés au détriment des espèces à proboscis longs et des espèces d’altitude à proboscis court. D’autres paramètres influenceront certainement les communautés de bourdons tels que la phénologie (espèces vernales vs espèces estivales) et la stratégie sur la collecte et la conservation au nid de la ressource (nourrissage des larves par régurgitation « pollen storers » vs nourrissage par pelotes de pollen et nectar ou de miel « pocket makers ») .
Endémique de l’ouest des Pyrénées, la Grenouille des Pyrénées (Rana pyrenaica) est la seule grenouille strictement torrenticole de France métropolitaine. Cette Grenouille se reproduit dans des torrents frais et oxygénés du Pays Basque et de la vallée d’Aspe. Durant leur période de croissance, les têtards se réfugient dans les vasques des ruisseaux où ils tentent de résister à la force du courant . D’après Cistude Nature, l’évolution des débits de début de saison sous l’effet du changement climatique influencerait fortement la réussite de reproduction de cette espèce en entrainant la mortalité accrue des têtards.
Les espèces de lézards d’altitude, endémiques des Pyrénées, semblent fortement menacées par le changement climatique telles que le Lézard de Bonnal Iberolacerta bonnali. Le Lézard de Bonnal vit principalement entre 1 800 m et 2 200 m d’altitude. La principale menace qui semble peser sur cette espèce est l’élévation des températures. D’après Cistude Nature et l’UPPA, celles-ci permettraient la remontée d’espèces compétitrices (par exemple le Lézard des murailles Podarcis muralis) entraînant à terme la disparition des espèces d’iberolézards, dont le Lézard de Bonnal . Une éventuelle hausse de température pourrait aussi favoriser une expansion altitudinale du Lézard catalan, un lézard d’affinité ibérique, dans les secteurs de présence du Lézard de Bonnal. Abondant en Espagne, le Lézard catalan Podarcis liolepis est localisé dans le sud-ouest de la France sur quelques affleurements rocheux du Pays Basque et de la Vallée d’Aspe. Ce lézard n’a aujourd’hui été localisé qu’en dessous de 900 m d’altitude.
Des suivis dans les Alpes françaises ont permis de mettre en évidence que la diminution de l’épaisseur de la couche de neige, au cours des 20 dernières années, avait un impact négatif sur la taille des portées de la Marmotte des Alpes (Marmota marmota) . D’après Cistude Nature, les Pyrénées étant sujets au même phénomène de diminution de l’épaisseur de la couche de neige, la reproduction de la Marmotte des Alpes pourrait être également impactée.
4.3 Programme les sentinelles du climat
4.3.1. Recherche action
Les recherches sur le changement climatique sur le terrain sont essentielles pour alimenter les expériences sur « modèle » des espèces, et pour des modèles mathématiques physiologiques et fonctionnels . L’approche empirico-inductive (bottom-up) est la recherche par l’examen de plusieurs données et observations de terrain. Elle augmente les connaissances et les données disponibles sur les milieux naturels et elle permet d’enrichir les modèles. Les études à long terme des populations naturelles sont généralement considérées comme indispensables. Les observations directes devront s’effectuer sur des périodes de plusieurs décennies, voire des siècles. Une période d’observation minimale de deux décennies est recommandée pour les espèces végétales .
L’identification des mécanismes biologiques associés à une réponse donnée au changement climatique est nécessaire pour la réalisation de projections solides sur les futurs changements de la biodiversité . L’approche de type top-down est basée sur une approche hypothético-déductive à partir de la modélisation des effets du changement climatique sur les écosystèmes, selon laquelle les hypothèses retenues ou rejetées du modèle permettent la compréhension des phénomènes. La quantification des effets du changement climatique sur les écosystèmes terrestres est contrainte par les nombreuses sources d’incertitudes et de variabilité liées au climat futur, au fonctionnement des écosystèmes eux-mêmes, à leur représentation par un modèle, à la localisation des sites étudiés,… Ces incertitudes viennent d’un déficit de connaissances actuelles et pourront progressivement être réduites grâce à l’amélioration des connaissances et des techniques existantes : amélioration des modèles climatiques qui ne rendent encore qu’imparfaitement compte de la réalité des phénomènes complexes qui régissent le climat au niveau local, l’amélioration des méthodes de régionalisation et des modèles d’impacts. Dans certains cas, ces incertitudes demeureront ; les scénarios d’émission de gaz à effet de serre, qui tentent de prévoir la concentration des gaz à effet de serre atmosphérique dans le futur, sont fortement dépendants de trajectoires de la société, difficilement prévisibles. S’ajoutent à ces incertitudes des sources de variabilité qui rendent encore plus difficiles les projections futures, par exemple la gestion et les pressions exercées sur les écosystèmes, pouvant être modifiées par des choix politiques aux niveaux national ou régional . La complexité à prévoir les effets, les impacts sur l’état de la biodiversité par des pressions liées au contexte économique et social du territoire, aux forces motrices associées, s’exerçant, agissant sur un temps long, conduit à une action interdisciplinaire. Celle-ci combine l’écologie du paysage, la sociologie, l’économie, la politique dans le travail d’aménagement du territoire… L’étude de l’ensemble, par exemple avec la démarche du cadre « DPSIR », permet d’identifier les dysfonctionnements écosystémiques pour donner des éléments de réponses de conservation, de protection du milieu. L’interdisciplinarité est un moyen de mieux comprendre le contexte socio-économique et la relation Homme/écosystèmes naturels pour établir ainsi des solutions de protections plus efficaces et acceptées.
Le couplage des deux approches (bottom-up/top-down) devient une démarche dite « hypothético-déductive » qui consiste à formuler une hypothèse afin d’en déduire des conséquences observables.
Figure 11 : Approche Bottom-up et Top-down en écologie pour la recherche d’indicateurs (Mallard, 2014).
Les observations permettent de déterminer en retour la validité des déductions par des données de terrain, des valeurs expérimentales. La littérature encourage les approches hypothético-déductives en reliant les études de terrain, les modèles et les expériences pour attester d’une association causale entre le changement climatique et le déclin de la biodiversité .
Cette démarche devient un point de rencontre entre recherche appliquée et recherche fondamentale, entre ceux qui expérimentent et ceux qui modélisent. Elle débouche sur une « recherche-action ». Les gestionnaires d’espaces naturels réalisent un travail important de relevés, d’observations, de bases de données, de monitoring qui restent non valorisés dans des revues de niveau international. Ces données mesurées, observées forment une grande base de données, de connaissances acquises sur le terrain par les professionnels, par les amateurs et par les observateurs. L’établissement d’un programme regroupant l’ensemble des données scientifiques associées aux auteurs permettrait de créer une dynamique de recherche. Ceci souligne toute l’importance des échanges entre gestionnaires et scientifiques .
L’absence d’actions suffisamment concertées entre collecteurs de données et chercheurs concernant le suivi de la biodiversité limite le développement des connaissances . À ce jour, il n’existe pas d’analyse globale de suivi sur le long-terme, d’un suivi répertorié, normalisé, communiqué sur l’ensemble des effets du changement climatique sur la biodiversité à l’échelle d’une région. Ces carences ouvrent la voie à de nouvelles démarches de recherche. Conscients que ces lacunes doivent être comblées en priorité, Cistude Nature, et ses nombreux partenaires (Conservatoire Botanique National Sud-Atlantique, Université de Pau & Pays de l’Adour, Université de Bordeaux Montaigne, Conservatoire d’Espaces Naturels d’Aquitaine), mettent en place d’un programme d’étude pluriannuel, pour l’ensemble de la région Nouvelle Aquitaine sur les conséquences du changement climatique sur la biodiversité. Le défi est de développer la connaissance scientifique en raisonnant en terme de fonctionnement multi-échelles, prenant en compte les variables d’espaces et de temps, de relier les différentes disciplines d’études, et de faciliter ensuite l’analyse et la circulation multi-public des connaissances.
4.3.2. Mesure de conservation de la biodiversité
L’ensemble des données, des informations ainsi déterminées et agrégées conduit à des caractérisations couplées, pressions, états et impacts. Cela alimente le transfert d’informations vers les acteurs de forces motrices (industriels, exploitants de ressources, politiques, enseignants,…) qui sont les sources de propositions pour mettre en œuvre une gestion, pour appliquer des éléments de réponses dans des politiques environnementales volontaires et avec l’acceptation du public. La prise de conscience des acteurs sera d’autant plus importante que la recherche sera largement ouverte/diffusée au fil du programme. Ce cadre expérimental d’une recherche donnée à voir le temps de sa production, rétroagit sur la construction méthodologique, et sans doute sur les résultats scientifiques.
Des prévisions précises des impacts futurs du changement climatique sur la biodiversité sont essentielles à l’élaboration de nouvelles stratégies de conservation. Les pratiques actuelles de conservation des espèces devront être adaptées, ces pratiques en prenant en compte les facteurs de stress et de synergies du changement climatique et des autres facteurs. Pour mettre en place ce type de conservation, une meilleure compréhension de la façon dont le climat affecte les espèces ainsi que leurs interactions essentielles est indispensable .
Pour les gestionnaires des milieux naturels locaux, il sera impossible de gérer le changement climatique mondial, mais il pourra être possible de gérer les facteurs biotiques ou abiotiques locaux qui interagissent avec le climat. Les chercheurs ont suggéré de tester la faisabilité de plusieurs options de gestion locale et régionale pour lutter contre les effets néfastes des changements climatiques .
La littérature apport quelques pistes de mesures pour les amphibiens, tels que l’installation d’irrigation pour maintenir le potentiel de l’eau sur les sites de reproduction; l’ajout d’abris dans les habitats des hautes terres pour réduire la dessiccation et le stress thermique; augmenter le couvert forestier sur les étangs et les habitats des hautes terres pour réduire les températures; et veiller à ce qu’il existe des habitats de zones humides divers et connectés pour le développement larvaire . En ce qui concerne la conservation des papillons, il a été montré l’utilité et l’importance des stratégies telles que l’élevage en captivité, la restauration de l’habitat, et la relocalisation gérée. Selon l’emplacement et les caractéristiques de la population, des stratégies de conservation différentes sont nécessaires. Des réintroductions et des migrations assistées d’espèces peuvent être nécessaires pour les populations qui sont en déclin et qui n’ont plus par défaut l’habitat disponible adéquat. Cela pourrait soutenir une population viable dans un climat plus chaud (Aardema et al, 2011).